NORVÈGE

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Extrêmement compartimentée par la nature, la Norvège ne tire pas son nom d’une formation politique, mais de l’itinéraire maritime qui en faisait l’unité (vieux norrois: Nordhrvegr , «le chemin du Nord»). Sauf les Lapons de l’extrême Nord, ses habitants ont toujours été, aussi loin que puisse remonter l’histoire, des Germains appartenant au rameau scandinave occidental. Depuis le IIe siècle de notre ère au moins, ils ont participé à la vie intellectuelle et artistique du monde germanique; ils ont notamment été parmi les premiers à utiliser les caractères runiques.

Après avoir eu quelques contacts assez lointains avec le commerce romain, la Norvège participa, toujours d’assez loin, aux grandes invasions. L’époque mérovingienne apparaît pauvre et sans grande originalité, mais garde des contacts avec le monde franc et insulaire. À sa fin commence un effort considérable de défrichement et de mise en valeur des pâturages élevés pour y établir des chalets d’élevage transhumant (seter ).

Au XIe siècle, la Norvège ne forme pas encore un État; elle est divisée par les luttes intérieures. C’est seulement au XIIIe siècle que la Norvège prend les caractères d’une monarchie occidentale; mais, du XIVe au XIXe siècle, son histoire se confond avec celle du Danemark.

Sous bien des rapports, il s’agit d’un pays neuf, qui pendant des siècles a fourni son bois aux puissances voisines, et, au XIXe siècle, ses travailleurs, qui s’expatriaient jusqu’en 1940 vers l’Amérique du Nord. Il fut dépendant également sur le plan politique, à la différence de la Suède, la Réforme y ayant fortifié l’emprise danoise, imposée durant près de quatre siècles. Mais, du fait de la médiocrité des moyens de communication, les Norvégiens jouissaient, dans une large mesure, d’une assez grande liberté individuelle. Il était, de plus, du véritable intérêt du Danemark que la Norvège contribuât au développement économique de l’ensemble de l’État. Vers la fin de sa domination, l’initiative danoise entraîna l’établissement d’un nombre important d’entreprises qui devaient fournir, par la suite, les bases économiques de la Norvège indépendante; d’autre part, elle contribua à la naissance de la classe moyenne norvégienne.

À l’autorité de Copenhague succéda la tutelle de Stockholm, laissant au pays son autonomie administrative. Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, la Norvège, en pleine expansion économique, posa sérieusement la revendication d’une totale souveraineté nationale. La rupture pacifique entre les deux partenaires scandinaves intervint en 1905, désirée et reconnue par les grandes puissances. Dès lors, attaché à une stricte neutralité, le royaume voulut la faire aller de pair avec son rôle de fréteur du monde entier, tandis que son essor économique coïncidait avec la mise en valeur de ressources hydroélectriques considérables.

Tirant de l’occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale la leçon d’une impossible neutralité, la nation norvégienne a adopté, depuis 1945, le principe d’un vaste système de sécurité collective au sein des Nations unies, tout en s’opposant à la formation de deux blocs hostiles. Cependant, la solidarité des petits États démocratiques nordiques a tendance à s’affermir, la conscience d’intérêts communs se confondant avec l’imprégnation d’une vieille culture.

La Norvège allait surtout s’affirmer sur la scène économique mondiale au tournant des années 1970, lorsque le «marais bleu» allait révéler ses immenses richesses en or noir. Le pétrole, atout majeur des économies contemporaines, ne devait pourtant produire ses effets positifs que quelques années plus tard, les débuts de l’ère pétrolière étant surtout caractérisés par un très fort endettement du pays qui devait emprunter les fonds nécessaires à la mise en exploitation des gisements de la mer du Nord. Au-delà, les ventes de pétrole permettaient à l’économie norvégienne de se maintenir à flot, alors que l’ensemble des pays occidentaux connaissait une sévère récession. Avec une croissance régulière du P.N.B., l’État-providence consolidait la politique du bien-être en intervenant toujours davantage, par le biais de rigoureuses mesures de prélèvements et de redistribution des revenus pour uniformiser les niveaux de richesse. La volonté réformiste de la voie social-démocrate, choisie pratiquement sans interruption depuis la Seconde Guerre mondiale, aidée dans son programme par le caractère plutôt amène des rapports entre les différents partenaires sociaux, assurait tout à la fois justice sociale et développement; peu à peu, le monde des actifs se métamorphosait en une vaste classe moyenne, ce qui faisait dire, fort justement, à de nombreux observateurs qu’il n’y avait plus en Norvège de «classes» sociales, mais seulement des «catégories». Le modèle norvégien de «société avancée», conciliant pragmatisme et générosité, expression individuelle et égalitarisme, tradition et progrès, semble cependant s’essouffler depuis le début des années 1980. Si la paix sociale demeure, le débat social qui s’instaure sur de nombreux problèmes, le taux d’inflation toujours élevé, les tendances à la bureaucratisation que certains groupes estiment étouffante ont conduit à une contestation de l’État-providence qui s’est traduite par un affaiblissement des travaillistes avec l’intermède d’un gouvernement conservateur de coalition de 1981 à 1986 et la montée de l’extrême droite. Durement frappée en 1986 par la chute des cours du pétrole, la Norvège a su faire de nécessité vertu pour procéder, sous la direction – à quelques mois près – d’un gouvernement socialiste, aux révisions indispensables dans la conduite de sa politique économique et financière que la manne pétrolière avait permis jusque-là de reporter sans de trop fâcheuses conséquences. Sept ans plus tard, le redressement des prix du pétrole aidant, force est de constater que, pour l’essentiel, la Norvège a gagné son pari et qu’elle s’affirme comme une petite nation prospère, dynamique et confiante en ses ressources; les jeux Olympiques d’hiver de 1994 à Lillehammer en ont donné une image sympathique et rayonnante, et, à tort ou à raison, elle proclame face à une opinion internationale un peu surprise qu’il peut y avoir des lendemains qui chantent pour elle sans qu’elle se plie obligatoirement à l’entrée dans la Communauté européenne.

Si l’on se place dans une perspective nationaliste, on peut dire que le malheur de la littérature norvégienne provient, pendant longtemps, d’une série de confusions ou de collusions imputables à l’histoire: pendant le Moyen Âge, d’un point de vue littéraire, Norvège et Islande ne se distinguent guère et l’évidente suprématie islandaise inciterait à remettre dans l’ombre la part pourtant capitale qui revient à la Norvège; après le passage sous la domination danoise, même relégation, compliquée d’un problème de langue, le mode d’expression dano-norvégien (riksmål ) contrariant le développement d’un langage purement local (ou landsmål , appelé aujourd’hui nynorsk : néo-norvégien) que les chercheurs de l’âge romantique devront retrouver dans les chants populaires ou folkeviser . Ce n’est qu’à partir de 1850 que, l’évolution politique aidant, la Norvège entrera de plain-pied dans le chœur des grandes littératures européennes, et alors avec un éclat remarquable que disent les grands noms d’Ibsen, de Bjørnson, puis de Hamsun, de Undset, aujourd’hui de Vesaas.

Cela explique que les lettres norvégiennes soient, si souvent, si naturellement militantes: qu’elles réagissent contre la domination étrangère, dans le domaine linguistique en particulier, contre le puritanisme hérité d’un protestantisme rigide, ou qu’elles opposent les «deux cultures» dont elles sont nées – la danoise, urbaine, élégante et raffinée, la populaire, rurale, réaliste et fruste –, il y a toujours quelque obstacle à vaincre pour les compatriotes d’Ibsen.

Et il se pourrait bien qu’en dernière analyse cet antagonisme tînt encore plus à de douloureuses contradictions internes qu’à des éléments extérieurs. Les effusions de l’âme et la tendance profonde au rêve, la tentation mystique et le goût de l’ineffable qui paralyse souvent l’expression ouverte, le poids du passé légendaire s’opposent généralement, ici, à un besoin d’action concrète impérieux et cassant, voire à un naturalisme raide qui ne dédaigne pas le système. Mais, outre un élan de générosité spontané qui rachète la tendance un peu lourde à trop de gravité dogmatique, ce conflit se résout très heureusement, comme si souvent sous les ciels du Nord, par une grande connivence avec la nature; la montagne, le sapin, la mer, la neige exaltent le regard qu’ils dotent d’une dimension cosmique, tandis qu’ils enracinent toujours l’âme et le rêve dans quelque fond de fjord.

1. Un pays maritime et nordique

D’une superficie de 386 958 km2, dont 323 878 pour la Norvège proprement dite, le reste étant presque entièrement occupé par l’archipel polaire du Svalbard (Spitzberg), le pays a grossièrement la forme d’une spatule s’étirant sur 1 700 km, du nord au sud. Au nord, son manche s’allonge de part et d’autre du cercle polaire, large parfois de quelques kilomètres seulement, tandis que, plus au sud, elle se renfle et sa largeur peut atteindre plus de 400 km.

Presque entièrement montagneuse, la Norvège présente sa longue façade sur la mer du Nord où s’émiettent ses côtes; le climat maritime tempère l’influence de la haute latitude, assure des précipitations abondantes qui entretiennent ses forêts, alimentent les usines hydroélectriques. Naturellement tournée vers la mer, elle en exploite les ressources (pêcheries) et possède une flotte marchande importante.

Le relief

La Norvège est formée presque exclusivement de hautes terres; si l’on excepte les environs d’Oslo, l’altitude est presque toujours supérieure à 500 m, avec des sommets dépassant 2 000 m (Goldhøppigen, dans le massif de Jotunheim). Il s’agit le plus souvent de hautes croupes, assez monotones, comme le Hardangervidda.

L’énorme masse montagneuse a été portée à ces hautes altitudes à l’époque tertiaire, après avoir été érodée, aplanie; dressée au-dessus de la mer du Nord, elle fut profondément attaquée par les fleuves côtiers et c’est à ces morsures violentes de l’érosion qu’elle doit aujourd’hui la beauté de ses paysages; l’abrupt littoral fut déchiqueté, tandis que d’étroites vallées l’échancraient.

Puis se sont formés les énormes glaciers quaternaires, rabotant les aspérités, recreusant les vallées en auges gigantesques. Quand ils fondirent, les océans s’enflèrent et malgré un lent resoulèvement du continent, la mer se faufila entre les rochers, multipliant les îles, les archipels côtiers (Lofoten, Vesterålen), qui semblent posés sur une banquette à fleur d’eau, le strandfladen ; elle s’insinua dans les vallées, les transformant en fjords et pénétra parfois sur plus de 100 km en longues digitations à l’intérieur des terres (fjords de Hardanger, Sogne, Trondheim). Aussi, la côte norvégienne ne compte pas moins de 20 000 km, quoique le tracé extérieur n’en mesure que 2 650.

Le climat et la végétation

Le climat norvégien s’ordonne par rapport à la mer. L’influence maritime a été renforcée par le courant nord-atlantique qui longe la côte. C’est seulement dans la Norvège du Sud-Est que le climat offre des nuances plus continentales (à Oslo, moyenne de janvier: face=F0019 漣 4,7 0C; moyenne de juillet: 17,3 0C). La Norvège occidentale présente en revanche un climat entièrement maritime que modifie seulement l’altitude des massifs montagneux; les isothermes courent du nord au sud sur 13 degrés de latitude presque parallèles à la côte; en certaines contrées, sur le bord de la mer, hiver et été sont peu marqués (à Bergen, moyenne de janvier: 1,5 0C; moyenne de juillet: 15 0C). Même à l’extrême nord, près du 70e degré de latitude, Tromsø sur la côte ne présente encore que 漣 4 0C comme moyenne du mois le plus froid (à peu près comme Oslo) avec 12 0C pour le mois le plus chaud; cependant la latitude s’exprime par les nuits claires de l’été (soleil de minuit) et l’obscurité de l’hiver. Dès qu’on s’éloigne de la côte réapparaissent les contraintes de cette latitude. À Karasjok, sur le même parallèle que Tromsø, le thermomètre peut descendre en hiver à 漣 50 0C.

Le voisinage de la mer est responsable aussi des abondantes précipitations: plus de 2 m à Bergen, de 5 à 6 m en certains points de l’intérieur; elles ne se font plus rares qu’au sud (740 mm à Oslo) et à l’extrême nord (340 mm à Karasjok). Assez bien réparties, elles ont un maximum d’été et tombent en hiver sous forme de neige. On compte quelques glaciers; peu nombreux au nord où la mer est proche (Svartisen), on les trouve surtout au sud où le Jostedalsbre, avec les glaciers voisins, occupe plus de 800 km2.

Alimentés par ces précipitations, les cours d’eau ont un très fort débit; les tributaires de la mer du Nord sont des torrents assez courts; les seuls grands fleuves sont ceux qui s’écoulent vers le sud et le Skagerrak, comme l’Otta et le Glomma dont les vallées (Gudbrandsdal, Østerdal) sont largement ouvertes à la circulation. Le débit est maximal au moment de la fonte des neiges; mais il est régularisé par les nombreux lacs (lac Mjøsa sur le Gudbrandsdal).

Favorisée par cette humidité, la végétation doit s’adapter aux conditions de température et de lumière.

Tout au nord, la toundra subarctique étale son tapis de mousses, de lichens, de bouleaux et de saules nains. Mais dans la plus grande partie de la Norvège dominent les forêts boréales. La végétation s’étage en altitude. Au-dessus de la côte venteuse, dépourvue d’arbres, c’est le vaste domaine des conifères (pins et sapins), puis ceux-ci cèdent la place aux bouleaux; au-dessus encore commence la zone alpine, parsemée de cuvettes marécageuses, avec une végétation de mousses, de bruyères, de myrtilles qui s’éclaircit de plus en plus jusqu’à la zone enneigée, le fjell (ou fjeld). Au sud seulement, dans les plaines basses, mieux ensoleillées, on trouve des arbres à feuilles caduques (ormes, tilleuls).

La Norvège possède en Europe l’île Jan Mayen et surtout le Svalbard, un archipel voisin de l’océan Glacial Arctique, comprenant les îles du Spitzberg, où l’on exploite quelques mines de charbon, et la petite île aux Ours.

2. La Norvège ancienne (VIIIe-XIVe s.)

Au temps des Vikings (VIIIe-XIIe s.)

L’histoire proprement dite débute avec le VIIIe siècle. On entrevoit alors une famille princière puissante, les Ynglinger, sur la rive occidentale du fjord d’Oslo ; la tradition la dit d’origine suédoise. D’autres lignages s’imposent dans l’est et surtout au nord, dans le Trøndelag. Peu après 700, les premiers Norvégiens partent chercher des terres nouvelles dans les archipels écossais. C’est le début, à peine remarqué, de l’âge des Vikings, auquel les Norvégiens prirent une part si active. Les navires trouvés dans les tumulus princiers de Gokstad et d’Oseberg, près du fjord d’Oslo, attestent la qualité de l’instrument nautique utilisé par les Vikings norvégiens au IXe siècle.

La société norvégienne de l’âge des Vikings reposait sur une riche aristocratie foncière, gravitant autour de roitelets établis dans chaque province. Elle exerçait l’autorité politique aussi bien que religieuse. Aucune structure étatique n’existe avant la fin du IXe siècle, où les Ynglinger du Viken commencent à construire lentement une monarchie, dans des conditions que l’on connaît par des textes trop tardifs (XIIe-XIIIe s.) ou trop lointains (Islande) pour que leur valeur soit inattaquable. L’auteur principal de cette transformation fut le roi Harald aux beaux cheveux (Hårfagre), qui s’imposa par sa force navale et écrasa les roitelets de l’Ouest à la célèbre bataille du Havsfjord (date traditionnelle: 872). Il établit ses fils dans les provinces soumises, jusqu’en Trøndelag. Les chefs qui n’acceptaient pas son autorité émigrèrent dans les îles écossaises ou en Islande. On ignore encore jusqu’à quel point Harald put imposer à ce monde disparate quelques institutions communes, en matière militaire ou fiscale.

Les descendants de Harald, partagés entre leur activité de Vikings en Angleterre et leurs rivalités intestines, n’empêchèrent pas le Trøndelag de ressaisir son autonomie sous les jarls de Lade et le Sud de passer sous un protectorat danois. Mais la couronne regagna son prestige grâce à Olaf Tryggvason (règne 995-1000) et, après un intermède danois sous Knut le Grand, surtout grâce à Olaf Haraldsson (r. 1016-1030), devenu saint Olaf après sa mort à la bataille de Stiklestad. Tous deux anciens Vikings, devenus chrétiens outre-mer, ils favorisèrent de tout leur pouvoir la conversion du pays, entreprise par des missionnaires allemands et surtout anglais. Trois diocèses s’organisèrent bientôt à Nidaros (Trondheim), à Selja (transféré à Bergen) et à Oslo. Mais le XIe siècle norvégien reste dominé par l’esprit viking, dont la plus belle illustration est la tentative de conquête de l’Angleterre lancée en 1066 par le roi Harald le Sévère (r. 1047-1066), ancien officier au service de Byzance; elle échoua quelques jours avant le débarquement de Guillaume le Conquérant.

La véritable cristallisation des institutions ne se fit pas dans le cadre du royaume, trop vaste, mais dans celui des provinces, regroupant les districts (fylker ) pour la tenue des assemblées politiques et judiciaires, les quatre grands things de Frosta (autour du fjord de Trondheim), de Gula (côte occidentale), de Borg (autour du fjord d’Oslo) et d’Eid (dans l’intérieur). Chacun élabora sa législation séparée, y compris un droit ecclésiastique très éloigné du droit canon reçu dans le reste de la chrétienté latine.

Vers la fin du XIe siècle, la Norvège n’est encore guère plus qu’une expression géographique. Fils et petits-fils de Harald le Sévère s’en partagent ou s’en disputent la couronne. Les uns vivent encore en Vikings, comme Magnus Nu-Pieds (Barfod), auteur de deux expéditions en pays celtique (r. 1093-1103). D’autres élaborent, avec l’aide de l’Église, un État moins rudimentaire, comme Olaf Kyrre (r. 1066-1093). Sigurd (r. 1103-1130) manifeste le lent rapprochement de la Norvège et de l’Occident en entraînant, de 1107 à 1111, toute une armée à Jérusalem, en faisant le tour de l’Europe.

De l’unification à l’Union (XIIe-XIVe s.)

La majeure partie du XIIe siècle voit une Norvège divisée par des luttes inexpiables entre prétendants. Cependant l’organisation ecclésiastique se complète. En 1152-1153, le cardinal Nicolas Brekespear apporte tardivement les idéaux réformateurs de l’Église grégorienne et crée, au bénéfice de Nidaros, un archevêché national, qui se voit rattacher les archipels atlantiques. Vers la même époque s’affirment les vocations urbaines d’Oslo, Stavanger, Bergen et Nidaros: une civilisation originale y naît, dont les fouilles récentes de Bergen ont montré la vigueur et l’autonomie par rapport à l’Allemagne.

La couronne ne retrouve quelque force qu’à la fin du siècle, grâce à un aventurier d’une énergie farouche, qui se prétendait descendant des anciens rois, Sverre (r. 1177-1196). S’appuyant sur un parti de hors-la-loi, hostiles aux prélats et à l’aristocratie, les Birkebeiner («ceux qui ont des jambières en écorce de bouleau»), et sur une garde liée par serment, la hirdh , il établit des agents royaux à la tête des provinces, polémique avec les évêques et lutte au besoin par les armes contre le parti ecclésiastique (Bagler), encourage la naissance d’une histoire en langue nationale. Il créa une monarchie nouvelle, politiquement unifiée, mais qui ne trouva guère la paix intérieure avant 1240.

Cette condition indispensable une fois obtenue, la Norvège s’aligne rapidement sur les grandes royautés occidentales. Håkon IV Håkonsson (r. 1217-1263), petit-fils de Sverre, fixe sa capitale dans le port le plus actif, Bergen, affermit son autorité sur les îles occidentales: les Orcades, l’Islande et même le Grønland le reconnaissent pour souverain. Il noue, en 1250, les premiers liens avec Lübeck et entretient des contacts suivis avec l’Angleterre et la France. Le couronnement du roi par le cardinal Guillaume de Sabine en 1247 marque la réconciliation avec l’Église, qui de son côté élève à Nidaros une splendide cathédrale gothique, symbole du triomphe des goûts occidentaux sur l’ancienne architecture de bois. La littérature courtoise et les chansons de geste trouvent un nombreux public.

Cette œuvre fut poursuivie, de 1263 à 1280, par le fils de Håkon, Magnus le Législateur (Lagabøter), qui unifie le droit, favorise les villes, mais doit, en 1266, céder à l’Écosse les Hébrides et Man. La génération suivante fut moins heureuse. Erik Magnusson (r. 1280-1299) et son frère Håkon V (r. 1299-1319) furent obligés de composer avec les commerçants allemands de plus en plus entreprenants. Laissant le comptoir hanséatique dominer Bergen, Håkon transporte la capitale à Oslo et essaie sans grand succès d’interdire aux Allemands l’accès du Nord et des campagnes.

Håkon ne laissant qu’une fille, la couronne passa à son petit-fils, le prince suédois Magnus VII Eriksson (r. 1319-1343). Ce fut le premier maillon de successions compliquées qui finirent par donner en 1380 la Norvège au jeune Olaf (r. 1380-1387), déjà roi de Danemark, et en réalité à sa mère, la reine Marguerite, qui gouverna jusqu’en 1412. Ainsi la Norvège était entrée dans des unions personnelles, d’abord avec la Suède (1319-1380), puis également avec le Danemark sous l’autorité d’Erik de Mecklembourg. L’union des trois royaumes scandinaves fut scellée à Kalmar en 1397. La Norvège, partenaire le plus faible, y fut finalement partie perdante.

3. Un pays sous tutelle

L’Union Danemark-Suède-Norvège (1380-1523)

Alors que l’Union entraînait entre Suède et Danemark d’atroces querelles – qui aboutirent finalement à l’indépendance de la Suède en 1523 –, elle fut acceptée sans trop de peine en Norvège, dont l’aristocratie déclinante était colonisée par des éléments suédois et germano-danois. Après 1380 et jusqu’en 1814, l’histoire politique de la Norvège se confond à peu près avec celle du Danemark. Du moins garde-t-elle ses institutions propres jusqu’au XVIe siècle; leur clef de voûte est depuis 1300 environ le Conseil (Råd), assemblée des plus grands noms de l’aristocratie et de quelques prélats, qui exerce au nom de rois absents l’essentiel des pouvoirs en matière d’administration intérieure.

Mais ces aspects politiques, pénibles pour le sentiment national d’aujourd’hui, ont moins d’importance que les phénomènes économiques et sociaux qui font de la période de l’Union la plus sombre de l’histoire norvégienne. Les effets de la «peste noire» de 1348-1349 et la dépendance de plus en plus complète envers le commerce allemand, fournisseur de céréales devenues indispensables, ont entraîné la ruine des populations rurales: dans certains cantons, les capacités contributives baissèrent des deux tiers entre le début et la fin du XIVe siècle. L’aristocratie norvégienne doit s’effacer devant un petit nombre d’immigrés. La culture intellectuelle et artistique piétine ou recule, à moins qu’elle ne se mette à la remorque de l’Allemagne hanséatique. Dans l’élan de créations universitaires de la fin du XVe siècle, la Norvège est le seul royaume nordique à n’en point recevoir. Au XVe siècle, sa langue même décline devant l’irruption du danois, qui est à l’origine de l’une des deux langues utilisées aujourd’hui.

Ainsi, vers la fin du Moyen Âge, la Norvège a plus qu’à demi perdu sa personnalité. Les motifs de cette déchéance restent fort discutés. Faut-il en rejeter la responsabilité sur l’égoïsme des Lubeckois, dont dépendait tout le commerce extérieur – exportations de poisson et de bois, importations de céréales – et qui vivaient dans l’enclave presque close du «quai des Allemands» (Tyskebryggen) à Bergen, sans rien investir sur place de leurs bénéfices? Mais l’atonie générale de la société norvégienne a des causes plus lointaines, avant tout l’effondrement de la classe des grands paysans-propriétaires sur qui avait reposé depuis l’ère des Vikings la vie politique et militaire: elle n’avait pas supporté l’implantation d’une monarchie à l’occidentale et notamment le poids de la fiscalité royale et la création d’une noblesse de service. Le commerce indigène aussi était mort de n’avoir pu s’adapter aux nouvelles conditions d’échanges créées par la Hanse. En somme, la Norvège médiévale est morte pour avoir évolué trop lentement.

L’Union dano-norvégienne (1523-1814)

Au début des Temps modernes, la Norvège est affaiblie, troublée par les répercussions des soulèvements suédois, exploitée par les Hanséates; cependant l’Union dano-norvégienne persistait et l’archevêque de Trondhjem (Trondheim), Olaf Engelbriktsson, en ralliant en 1531-1532, sous Frédéric Ier (r. 1523-1533), la cause perdue de Christian II (r. 1513-1523), contribua à l’affaiblissement des résistances nationales: ce qui permit l’implantation du luthéranisme. La charte royale de 1536, imposée au pays par Christian III, faisait de la Norvège une partie du Danemark. Il s’agissait en principe d’une double monarchie, mais, la noblesse norvégienne ayant à peu près disparu, le Conseil de Copenhague dirigea le royaume, tandis que la noblesse danoise accaparait presque tous les fiefs et domaines, y compris les biens d’Église sécularisés par la Réforme.

Marchands et armateurs scandinaves

Pourtant, le littoral atlantique n’échappait pas à l’expansion économique du XVIe siècle et les comptoirs hanséatiques reculaient sous la poussée des actifs marchands et armateurs scandinaves. Même le quai germanique de Bergen n’échappait pas à cette pénétration. Mais les rouliers hollandais vinrent bientôt remplacer les Hanséates pour s’implanter dans toutes les activités économiques norvégiennes. Comme les produits forestiers étaient de plus en plus demandés en Europe, l’activité industrielle se développa sensiblement grâce à l’utilisation de la scie hydraulique, mise au point vers 1520. Les Norvégiens, dès lors, devinrent le principal fournisseur de bois de charpente; les forêts littorales ne tardèrent pas à s’épuiser, et il fallut faire descendre les bois des fjells de l’hinterland, le long des rivières.

Alors que les Norvégiens utilisaient encore pour la pêche au hareng et à la morue de petites embarcations et des procédés archaïques, les Hollandais et les Anglais commencèrent à venir pêcher au large, usant de vastes nasses, et les riches bourgeois norvégiens, au début du XVIIe siècle, les imitèrent, armant des navires plus gros et plus perfectionnés, s’assurant le commerce des pêcheries, contrôlant les sorties de bateaux de pêche auxquels ils fournissaient le sel, achetant les cargaisons, exploitant les pêcheurs. Le capitalisme urbain domina plus encore la grande pêche baleinière; Bergen continua d’être le centre principal du commerce du poisson.

L’industrie minière fut un autre facteur important du développement économique du pays. L’intérêt se porta notamment vers les métaux précieux. À l’instigation de Christian III (r. 1534-1559), le travail des mines commença avec des mineurs allemands. Mais ce fut surtout Christian IV (r. 1588-1648) qui, dans un esprit mercantiliste, imprima à tout le royaume une activité nouvelle. Ayant fondé Christiania (Oslo), il fit exploiter les mines d’argent de Kongsberg et de cuivre de Røros; des mines de fer s’ouvrirent au voisinage de Christiansand nouvellement créée. En 1624, le roi favorisa, par l’octroi d’une charte, la création d’une compagnie du fer, chargée du développement de la métallurgie. Mais cette compagnie déclina rapidement du fait d’exploitations trop dispersées.

Réformes de l’administration provinciale (XVIIe s.)

Christian IV entendit protéger les paysans contre l’oppression seigneuriale et, sous son règne, la paysannerie commença à se transformer. Il procéda à une réforme de l’administration provinciale; les cours de justice, s’inspirant de la loi norvégienne de 1604, défendirent les biens et les communaux villageois contre les baillis seigneuriaux et les intendants des domaines aristocratiques. Le privilège des nobles et des fonctionnaires de voyager aux frais des ruraux disparut, des baillis furent relevés de leurs fonctions.

D’autre part, l’ordonnance religieuse de 1607 plaça l’Église sous la domination royale. À la campagne, la carrière de pasteur, charge peu à peu devenue héréditaire, fit du clergé un agent actif du pouvoir central. Cette fonctionnarisation progressive du pastorat fut entérinée dans le Code norvégien de 1687. Mais déjà, sous l’administration du gouverneur général Hannibal Sehested, de 1642 à 1651, la modernisation de l’administration avait été entreprise par les intendants de province (lendmenn ) et les baillis royaux (aarmenn ), ce qui répondait d’ailleurs aux exigences de la politique extérieure (guerres contre la Suède de 1643-1645 et 1657-1660). L’alliance qui se nouait entre la couronne et la bourgeoisie préparait les voies à l’absolutisme monarchique.

La perte des provinces du Bohuslän, du Jämtland et de l’Härjedalen, la lourdeur de la dette publique portèrent un grave préjudice à la noblesse danoise, qui perdit sa puissance politique. Le dualisme aboutit à une Constitution ou loi royale qui créait une monarchie héréditaire et absolue (1665), à laquelle la Norvège se rallia.

Désormais il n’y eut plus d’État norvégien. La Norvège fut encore plus étroitement rattachée à la couronne du Danemark par l’action de fonctionnaires locaux liés par le mariage aux marchands urbains. L’absolutisme accéléra la concentration urbaine du commerce et de l’artisanat. La charte royale de 1662 accorda à douze villes, avec des privilèges, le droit de commercer et le monopole sur l’arrière-pays. Cependant, tandis que le nombre des scieries se trouvait limité, l’emprise économique danoise se marquait par des tarifs protecteurs, l’exportation exclusive du fer et du verre au Danemark, l’importation réservée aux grains danois.

Naissance de la prospérité

En 1665, la population norvégienne était de 450 000 habitants, mais au siècle suivant elle s’accrut plus rapidement que celle du Danemark et sa prospérité fut en général plus grande, ce qui devait augmenter son importance.

Obéré par les guerres, le gouvernement royal, dès 1660, entreprit la vente de milliers de fermes des terres de la couronne. Les paysans en furent les principaux bénéficiaires. Ainsi leur situation fut nettement supérieure à celle des paysans du Danemark et des duchés. Elle s’améliora encore au XVIIIe siècle: en 1750, il y avait en Norvège deux fois plus de propriétaires paysans indépendants que de fermiers et, vers 1800, ils représentaient 75 p. 100 de l’ensemble.

Au point de vue commercial, les échanges s’accrurent avec l’Angleterre, devenue depuis l’incendie de Londres le principal acheteur des bois de construction et des produits dérivés des forêts norvégiennes nécessaires aux constructions navales. Au reste, sous l’impulsion du vice-roi Gyldenlöve (1664-1699), le pays développa sa propre marine, qui profita de sa neutralité pendant la guerre de la ligue d’Augsbourg pour effectuer des transports au compte des belligérants et assurer des échanges avec toute l’Europe.

Cette prospérité fut sérieusement compromise par les épreuves de la grande guerre du Nord contre Charles XII de Suède au début du XVIIIe siècle, avec l’invasion et la peste, qui devaient cependant exalter le courage et l’individualité populaires.

La montée des prix, à partir des années 1730, favorisa la promotion bourgeoise, mais aggrava les oppositions entre les groupes sociaux. Tandis que le gouvernement instituait des impôts plus lourds sur les terres, l’expansion agricole corrélative à la croissance démographique entraînait l’apparition d’un semi-prolétariat rural de défricheurs: 12 000 vers 1720, 48 000 au début du XIXe siècle (ils seront près de 85 000 en 1850). Le malaise social s’exprima lors des soulèvements paysans (la guerre des Strilar, 1764; le mouvement de Lofthus, 1786-1787). Les mesures libérales opérées par le Danois J. F. Struensee (1737-1772) avaient été abandonnées par ses successeurs. Mais cela fit comprendre à A. P. Bernstorff (1735-1797) la nécessité de réformes, notamment la suppression du monopole des grains danois (1788).

L’accroissement de la marine commerciale norvégienne dans la seconde moitié du XVIIIe siècle reflète la demande accrue de poissons, de bois et de métaux sur les marchés européens et le relatif déclin des intermédiaires bataves. Elle bénéficia fortement de la guerre de Sept Ans, et connut un nouveau développement pendant la guerre d’Indépendance américaine: 546 navires d’un tonnage de 24 300 lasts (1 last = 2 t. env.) en 1776, 844 jaugeant 46 500 lasts en 1784, 915 et 53 300 lasts en 1801. Elle dépassait en 1807 celle du Danemark avec environ 11 000 marins, sillonnant toutes les mers. Bergen restait consacré aux pêcheries, tandis que Christiania devenait un centre industriel et d’exportation des bois, cependant que se développaient aussi Arendal sur la côte méridionale et Drammen à l’ouest de Christiania, tirant l’un et l’autre profit d’un relâchement du protectionnisme.

Renouveau du sentiment national (1807-1814)

La paysannerie norvégienne, sourde aux appels de la Révolution française, fut réveillée par le message piétiste d’Hans Nielsen Hauge (1771-1824), qui marqua d’une façon indélébile le luthéranisme norvégien, associé à l’esprit d’entreprise. Cependant l’hostilité contre les notables grandissait quand la Norvège ne couvrait que les deux tiers de ses besoins. Le sentiment national s’affermissait avec la renaissance littéraire, sans mettre en cause le loyalisme monarchique. Déjà le pays réclamait son université, qui ne lui fut accordée par Frédéric VI qu’en 1811. La crise qui devait rompre l’Union ne se développa qu’après 1807, lorsque l’attaque britannique contre la flotte danoise amena le prince régent Frédéric à abandonner la neutralité et à rallier la cause napoléonienne. Le blocus anglais réduisit à la misère une grande partie du pays, coupé du Danemark, avec un papier monnaie déprécié entraînant l’inflation. Le mécontentement était général, alors que se répandaient de plus en plus les idées démocratiques. Les marchands, les industriels, la riche bureaucratie s’unissaient aux paysans contre une domination danoise contraignante.

Le chef du mouvement d’indépendance, le comte Herman Wedel Jarlsberg, voulait transférer l’allégeance de la Norvège à Christian Auguste d’Augustenbourg, héritier de Charles XIII, roi de Suède, mais la mort du prince la même année (1810) fit échouer ce projet. Dans ces conditions, le traité de Kiel entre la Suède et le Danemark (14 janv. 1814), qui donnait la Norvège à Bernadotte, régent et futur roi de Suède, offusque les Norvégiens.

Le vice-roi danois, Christian-Frédéric, héritier de la couronne du Danemark, appuyé par les notables, réunit l’Assemblée d’Eidsvoll, qui vota une Constitution censitaire d’inspiration franco-américaine et l’élut roi (17 mai 1814). La Constitution reposait sur la séparation des pouvoirs, le législatif revenant au Storting (la Diète), disposant seul du droit de lever les impôts, mais le monarque conservant l’exécutif.

Cependant les alliés soutenaient Bernadotte qui, dès juillet 1814, franchit la frontière. Des négociations s’ouvrirent presque simultanément (armistice de Moss, 14 août 1814). Le Storting accepta l’abdication de Christian-Frédéric et l’élection de Charles XIII de Suède (r. 1814-1818).

La Norvège était déclarée un royaume libre, indépendant, soumis à une simple union personnelle avec la Suède.

L’Union suédo-norvégienne (1814-1905)

Le Storting d’août 1815 avait défini clairement la nouvelle situation politique et juridique. Mais cette nouvelle union scandinave ne fut pas heureuse. Seuls quelques grands marchands y étaient favorables pour des raisons commerciales. Quant aux Suédois, qui croyaient compenser la perte de la Finlande par la Norvège, les formes de l’Union leur déplurent.

Revendications du Storting norvégien

Les Norvégiens furent indisposés par la nomination d’un vice-roi suédois. Bernadotte, devenu Charles XIV Jean (r. 1818-1844), entendait établir des relations cordiales avec ses sujets norvégiens, mais ses objectifs ne correspondaient pas aux leurs. Il voulait exercer une plus forte autorité, alors qu’ils prétendaient tirer le maximum de la Constitution d’Eidsvoll. Si la question de la dette dano-norvégienne fut réglée grâce à la médiation britannique, la suppression par le Storting des titres nobiliaires héréditaires et des privilèges entraîna l’opposition de la noblesse suédoise. Elle fut imposée par la Diète norvégienne en 1821 après trois sessions successives (le veto royal de six ans ne pouvant être exercé que deux fois). Les Norvégiens persistaient à célébrer le 17 mai au lieu de l’anniversaire de l’Union suédo-norvégienne, attachement exprimé par le poète romantique Henri Wergeland, puis par Bjørnstjerne Bjørnson.

Non seulement le Storting dominé par des paysans et des radicaux urbains refusait une modification constitutionnelle favorable à la prérogative royale, mais il demandait, en 1836, l’égalité avec la Suède en matière de politique étrangère. Il n’obtint de pavillon national que sur les navires de commerce; la démocratisation des autorités locales fut accordée en 1837, permettant seulement la promotion culturelle et politique de la population. Depuis 1854, le Storting réclamait la suppression du poste de gouverneur général. Les députés demandaient également que le gouverneur soit responsable devant l’Assemblée ou participe aux débats. La loi passa en 1872, mais Charles XV (r. 1859-1872) puis Oscar II (r. 1872-1905) refusèrent d’y souscrire, sur le conseil même du gouvernement conservateur de Frédéric Stang, tout en acceptant la chute du gouvernement. Néanmoins, le chef de la gauche libérale Johan Sverdrup, dont les élections de 1882 avaient assuré le succès, fit assigner devant la Haute Cour de justice Selmer et sept membres de son gouvernement, hostiles au contrôle parlementaire, qui furent condamnés à abandonner leurs fonctions ou à payer des amendes. Oscar II, dans une Suède divisée, dut se résoudre, le 23 juin 1884, à nommer Sverdrup à la tête du ministère, ce qui introduisait le système parlementaire. Des réformes libérales suivirent, orientant le régime politique vers la démocratie, avec l’organisation des partis politiques de gauche et de droite. En 1898, le suffrage universel masculin fut adopté, et le jury introduit dans les procès.

Revendication d’une représentation extérieure

Pour défendre les intérêts de leur marine marchande grandissante, les Norvégiens avaient d’abord revendiqué, en 1885, une égale représentation au comité mixte chargé des affaires étrangères, puis le Storting exigea, en 1892-1893, la création de consulats uniquement norvégiens. Il demandait également que la politique étrangère du pays fût confiée à un Norvégien, sans ingérence de la diplomatie suédoise. Oscar II s’y refusant, le ministère, de gauche, démissionna et fut remplacé par le conservateur Emile Stang. Mais, battu aux élections de 1894, il dut se retirer en 1895. Tandis que se formait un gouvernement de coalition, les Suédois doublaient leur budget militaire, rompaient l’union douanière. Un nouveau comité suédo-norvégien ne put résoudre la question de la représentation diplomatique séparée. L’opposition norvégienne, fière de Grieg, d’Ibsen, de Nansen, alla jusqu’à refuser le budget, voulant imposer un drapeau national et des forteresses norvégiennes (1898).

Le 18 mai 1905, les leaders nationalistes norvégiens, conduits par l’armateur de Bergen Christian Michelsen, décidaient le vote au Storting d’un service consulaire norvégien séparé (loi applicable en avril 1906). Oscar II refusa de ratifier cette décision. Le cabinet norvégien donna sa démission, mais le roi ne l’accepta pas, dans l’impossibilité où il se trouvait d’en former un autre. Dès lors, le 7 juin 1905, le Storting unanime déclara que l’Union avec la Suède était abolie, le roi de Suède ayant cessé d’exercer ses fonctions. Sous l’influence du prince royal Gustave, des libéraux et des socialistes, le Riksdag de Stockholm consentit à négocier la dissolution de l’Union, à certaines conditions préliminaires. L’une d’entre elles était un plébiscite général en Norvège, dont le résultat, le 13 août, donna 368 211 voix pour la dissolution et 184 contre. La convention de Karlstad (31 oct.) entérina la décision norvégienne. Toutes les forteresses des frontières seraient détruites et toutes les contestations ultérieures portées devant la Cour internationale de La Haye. Un nouveau plébiscite attribua la couronne au prince Charles de Danemark, petit-fils du roi de Danemark et gendre d’Edouard VII, qui, élu le 18 novembre 1905 sous le nom de Haakon (Håkon) VII, devint le premier roi de la Norvège indépendante depuis 1380 (r. 1905-1957).

Le mouvement d’indépendance avait été stimulé par un essor économique remarquable: développement du commerce du bois, trafic au long cours de la troisième flotte du monde, assurant d’importants bénéfices, pêche modernisée, avec le harpon-grenade de Sven Foyn, début de l’exploitation des chutes d’eau et création en 1905, par Samuel Eyde, de la Norsk Hydro, organisation productrice de nitrate de calcium fondée sur la puissance électrique, l’État contrôlant les principales sources d’énergie. La première ligne de chemin de fer remontait à 1854 et Trondhjem était relié à Christiania en 1880, mais la houille blanche fut surtout ensuite utilisée pour le télégraphe, les scieries, la production de pâte de bois et de cellulose. Cependant les facilités d’importation de produits agricoles étrangers entraînaient un recul des surfaces cultivées de plus de 11 p. 100 de 1871 à 1907, et l’accroissement démographique était freiné par une forte émigration (700 000 Norvégiens partant pour l’Amérique du Nord de 1850 à 1910) et le fléchissement de la natalité depuis 1890.

4. Une indépendance menacée (1905-1970)

L’union des partis contre la tutelle suédoise ne survécut pas à l’indépendance et à la retraite de Christian Michelsen de la présidence du Conseil en octobre 1907. Néanmoins la gauche (Venstre) maintint, en général, sa suprématie pendant les douze années suivantes. Le suffrage quasi universel fut appliqué en 1900, élargi aux femmes en 1913. Une rupture se produisit, en 1908-1909, dans la gauche libérale à propos des restrictions aux investissements capitalistes étrangers. Les réformes sociales s’accélérèrent, la révolution industrielle entraînant des mutations économiques et sociales: assurance contre les accidents, secours aux chômeurs, hospitalisation, assurances sociales (1914).

Une démocratie travailliste et neutre (1914-1939)

En dépit de ses sympathies pour la Grande-Bretagne, la Norvège resta neutre pendant la Première Guerre mondiale, mais perdit 49,3 p. 100 (1,24 Mt) de sa flotte de commerce, qui rendit toutefois d’importants services aux Anglais. Cette non-belligérance enrichit la spéculation, mais aigrit les rapports entre le capital et le travail. L’après-guerre fut marquée par une grave crise: effondrement des prêts et diminution des constructions navales (8e rang en 1923), mévente, incertitudes monétaires, nombreux paysans accablés de dettes hypothécaires. Le parti travailliste norvégien, qui datait de 1887, vit augmenter ses voix, mais, faute d’une représentation plus exactement proportionnelle, ne pouvait envoyer au Parlement que la moitié des députés auxquels il aurait pu prétendre. Après la réforme électorale de 1921, qui instituait le scrutin de liste, les travaillistes devinrent en 1927 le parti le plus fort au Storting, avec cinquante-neuf sièges. Dès 1928, ils formaient, mais provisoirement, le ministère, les partis bourgeois se groupant pour constituer des cabinets de coalition. L’administration libérale domina avec J. L. Mowinckel, un armateur, de 1924 à 1926, de 1928 à 1931 et de 1933 à 1935. Il fut relayé par des conservateurs, puis par des agrariens. Enfin les travaillistes l’emportèrent en mars 1935 avec Johan Nygaardsvold qui resta à la tête du gouvernement – en exil à Londres à partir de 1940 – jusqu’après la libération du pays, à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

La Société des Nations reconnut la suzeraineté de la Norvège sur le Spitzberg. La Norvège réclamait le Groenland (Grønland) oriental au Danemark, dont la souveraineté fut confirmée en 1933 par la Cour de La Haye.

Pendant les dix années qui précédèrent le second conflit mondial, la Norvège fut sévèrement touchée par la crise économique internationale. Le chômage affectait plus de 30 p. 100 des salariés de l’industrie, favorisant l’implantation du socialisme. La reprise était cependant nette en 1937. Mais le contrôle étatique n’a cessé de s’étendre. L’Office national agricole, créé en 1928, possède le monopole de l’importation des céréales et achète également tous les grains produits dans le pays.

Entre l’Angleterre et l’Allemagne (1940-1945)

Comme les autres pays scandinaves, le royaume de Norvège était strictement attaché à sa neutralité. Déçu par la Société des Nations pendant la guerre d’Abyssinie, le gouvernement norvégien annonça, en avril 1938, son intention de s’abstenir de toute participation à un conflit armé. En octobre 1939, les États nordiques l’affirmaient solennellement à Stockholm. Mais la situation géographique comme les intérêts économiques du pays mettaient en péril, plus encore qu’en 1914-1918, la sécurité de la Norvège. D’une part, le gouvernement d’Oslo laissait les Britanniques disposer de ses pétroliers; d’autre part, il autorisait les Allemands à acheminer le fer suédois par le port de Narvik en utilisant ses eaux territoriales.

Cependant, les Alliés envisageaient d’occuper Narvik «pour couper la route du fer» et de mouiller des mines le long des côtes norvégiennes. De son côté, Hitler était résolu à s’emparer de ceux des États scandinaves qui représentaient un intérêt stratégique immédiat. Le Danemark assurerait le passage vers la Norvège dont les fjords constitueraient des bases naturelles pour les sous-marins allemands, et l’hinterland des aérodromes pour les avions attaquant l’Angleterre. Il convoitait les richesses norvégiennes: marine marchande de mille bateaux et trente mille marins, pyrite, molybdène, cuivre, chrome, bauxite. D’ailleurs, le rassemblement national de Quisling établissait un réseau de renseignements travaillant pour les nazis. L’arraisonnement par les Britanniques du ravitailleur l’Altmark devant Bergen et le mouillage des champs de mines alliés dans les eaux norvégiennes servirent de prétexte à l’attaque allemande du 8 avril 1940. Dès le lendemain, Oslo et les ports de Stavanger, Trondhjem et Narvik tombaient aux mains de l’envahisseur, que renforçaient au sud des forces aéroportées. L’armée norvégienne était celle d’un pays de trois millions d’habitants qui connaît les douceurs de la paix depuis cinquante ans. Ses maigres forces n’étaient guère en état de combattre, n’ayant pas été mobilisées. Pourtant, le fort d’Oskarsborg coula le croiseur Blücher , permettant au roi et au gouvernement de quitter Oslo pour poursuivre la lutte. L’attaque brusquée allemande avait surpris les Alliés autant que les Scandinaves. La Navy de l’amiral Forbes arriva trop tard et, malgré ses succès du 13 avril au large de Narvik, ne parvint pas à redresser la situation. Les unités franco-anglaises, handicapées par la distance, réussirent cependant à débarquer à Namsos au nord et à Åndalsnes au sud. L’amiral anglais lord Cork and Orrery et le général français Béthouart avec ses chasseurs alpins et la légion étrangère prirent Narvik le 28 mai. Fait d’armes inutile. La supériorité aérienne allemande contraignait les Alliés à la retraite devant Trondhjem; le 23 c’était à Namsos, puis à Narvik dans la première semaine de juin. La victoire allemande de Norvège était grosse de conséquences pour l’avenir du conflit. Mais le gouvernement royal norvégien de Londres, rallié par la flotte de guerre et de commerce, soutenait la lutte des Alliés, à laquelle collabora vaillamment la résistance clandestine intérieure du «Front de la patrie», notamment dans l’affaire de l’eau lourde de Vemmork près de Rjukan (janv. 1944). Quisling formait un gouvernement qui n’avait ni l’appui populaire ni la complète confiance des Allemands. Malgré leurs efforts, ceux-ci ne purent séduire les «Aryens du Nord». Quand vint la libération, le 8 mai 1945, le peuple norvégien était prêt à travailler au redressement d’un pays durement touché financièrement et économiquement par la guerre et l’occupation.

Reconstruction et désenclavement

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les élections du 8 octobre 1945 avaient ramené au pouvoir les travaillistes, dont la représentation s’accrut lors des élections de 1949 et surtout de 1957 (plus de 48 p. 100 des suffrages). Ainsi, le travaillisme avait conservé la majorité pendant trente ans. Mais il la perdit au Storting en 1965, et un gouvernement de coalition fut formé par les centristes, les conservateurs, les libéraux et les chrétiens. Aux élections de 1969, ces quatre partis gardèrent une faible majorité des sièges (76 députés contre 74).

Redressement économique

À l’issue du conflit, le pays se retrouvait très appauvri: 20 p. 100 de la fortune nationale perdue, plus de la moitié de la marine marchande coulée, la valeur des armements de pêche réduite de plus de 40 p. 100, celle de l’industrie de plus de 30 p. 100. Les tâches de la reconstruction rassemblèrent toutes les énergies. Les difficultés financières avaient pour corollaire le maintien et l’extension du rôle de l’État dans la vie économique. Il fallut avoir recours à des emprunts étrangers: puis le plan Marshall permit de ranimer les échanges internationaux. Des institutions nouvelles de planification économique assurèrent l’exploitation d’un secteur important de l’activité économique soustrait à la propriété privée, comme les usines d’aluminium d’Årdal, les fonderies de Mo-i-Rana, jouissant de l’autonomie financière. Avec l’adhésion en 1948 à l’O.E.C.E., un assouplissement de l’emprise étatique fut possible. Comparé à celui des autres pays européens, le niveau des investissements a été relativement élevé depuis la fin de la guerre. Entre 1950 et 1960, 30 p. 100 en moyenne du produit national brut de la Norvège a été investi, contre 20 p. 100 pour l’ensemble de l’Europe. Cependant, son taux annuel moyen de croissance, pendant la période 1957-1966, a été inférieur aux taux des pays du Marché commun, en raison du coût plus élevé de l’infrastructure (transports, constructions, logements), de la croissance relativement faible de la population active et de la nécessité d’importants capitaux pour la flotte marchande et l’électrométallurgie. Une grande partie de l’industrie électrométallurgique et électrochimique a été, depuis vingt ans, installée dans l’Ouest et dans la partie méridionale de la Norvège du Nord.

En janvier 1970, une importante réforme fiscale est entrée en vigueur, liée à l’introduction de la T.V.A. (taxe à la valeur ajoutée), allégeant l’impôt direct sur le revenu des personnes physiques et les impôts frappant les sociétés (réduction de 15 p. 100 par rapport à ceux de 1969), majorant les allocations familiales et les autres prestations sociales.

Depuis 1958, les activités primaires (agriculture, pêche, sylviculture) occupent une part de plus en plus réduite de la main-d’œuvre. Cependant la prédominance de la petite propriété se maintient, malgré les lois agraires de remembrement de 1955 et 1965, et la Norvège reste forte importatrice de produits agricoles. La grande majorité des paysans adhère à des organisations coopératives de vente, réglementant le marché, modernisant les techniques de production, unifiant les prix. Depuis la dernière guerre, la pêche a évolué. Elle ne comptait plus que 49 000 pêcheurs en 1967 (110 000 en 1945) et les prises ont accusé un très net fléchissement, passant de 1 986 000 t en 1956 à 1 138 000 t en 1963, en raison de la raréfaction progressive des bancs de morue le long des côtes. La pêche à la baleine est néanmoins deux fois plus active qu’en 1920-1925 et l’industrie de la congélation du poisson crée des emplois nouveaux dans des régions jusqu’à présent en régression. L’industrie des produits forestiers s’est spécialisée dans la production des pâtes à papier, papiers et cartons. Elle a triplé depuis les années trente, a doublé depuis 1956 et s’exporte pour les deux tiers, mais elle est maintenant débitrice de l’étranger et connaît des difficultés, ses prix de revient restant plus élevés que ceux de Suède, de Finlande et d’Amérique du Nord.

L’importance de la flotte marchande a encore augmenté. Passant de 2,7 Mt brutes de jauge en 1945 à 19,7 Mt en 1968, soit 10 p. 100 du tonnage mondial, c’est une flotte modernisée, aux grandes unités, où les pétroliers représentent environ 50 p. 100 de l’ensemble (10 Mt). Au contraire, la balance commerciale est déficitaire; toutefois, les recettes des frets couvrent, en grande partie, le déficit des opérations commerciales, ses principaux partenaires commerciaux étant la Suède, l’Allemagne fédérale et le Royaume-Uni; la découverte de gisements pétroliers en mer du Nord lui ouvre des perspectives nouvelles.

La sécurité sociale norvégienne

Vers la fin du XVIIIe siècle, certaines provinces avaient organisé une aide sociale et un secours public aux pauvres. En 1845 fut votée une loi sur l’aide aux pauvres pour l’ensemble du royaume. Elle fut remplacée, en 1900, par la loi sur le secours public, et en 1965 fut promulguée la loi actuelle sur l’aide sociale.

L’industrialisation croissante de la fin du XIXe siècle accéléra les mesures d’assistance sociale. En 1895, une assurance sur les accidents du travail fut mise au point pour les ouvriers de l’industrie, puis des mesures furent prises pour les marins et les pêcheurs. Dès 1911, l’assurance maladie obligatoire fut instaurée pour les bas salaires. Depuis 1957, elle est obligatoire pour toute la population.

En 1936, la pension vieillesse selon certaines conditions fut introduite, avec des allocations pour les aveugles et les invalides. L’allocation-chômage obligatoire apparut en 1939.

En 1946 furent instituées les allocations familiales et, dès 1941, les pensions de guerre. L’expansion des assurances sociales a été rapide depuis 1960. L’abolition, en 1959, de la justification des besoins pour l’obtention de la pension de vieillesse marque une importante étape, et à partir de 1960 l’assurance générale sur les accidents du travail a remplacé, en les élargissant, les anciennes caisses d’accidents du travail. En 1965, on créa des allocations aux veuves et aux mères célibataires. L’assurance nationale en 1967 groupa tous les types d’assurance sociale.

Le Storting de 1977 a adopté de nouvelles dispositions à propos de l’allocation maladie concernant tous les salariés et les indépendants.

Problèmes éducatifs et culturels

Dès 1739, la loi danoise décrétait l’instruction publique obligatoire dans les écoles primaires (folkeskole ). L’enseignement, de sept à seize ans, est gratuit et généralement mixte. Depuis 1959, des écoles municipales font office d’écoles secondaires pour les trois dernières années et distribuent un enseignement pratique et théorique; des écoles complémentaires (framhalds-skoler ) sont ouvertes aux élèves issus du primaire.

L’enseignement secondaire comporte la realskole et le gymnasium , pour la première, les études durent trois ans et donnent accès à des emplois publics et privés. Au gymnasium , cinq ans d’études aboutissent à l’artium (baccalauréat) qui ouvre l’accès aux universités. Les professeurs du secondaire sont formés dans l’enseignement supérieur. Les cours pour jeunes adultes sont dispensés dans les cent collèges populaires d’inspiration grundvigienne. Outre les universités d’Oslo, de Bergen, de Trondheim et de Tromsø et les grandes écoles (Hautes Études polytechniques de Trondheim, École supérieure d’agriculture d’Aas, École vétérinaire d’Oslo, École des hautes études commerciales de Bergen, École normale supérieure de pédagogie de Trondheim), la Société royale de Trondheim (1760) et l’Académie des sciences d’Oslo (1857) président au développement scientifique du pays. La recherche en matière d’océanographie, de biologie sous-marine à Bergen est activement menée. Responsable du prix Nobel de la paix, la Norvège a conscience de sa mission humanitaire. Elle possède les réalisations les plus avancées dans le domaine de la réadaptation et la réinsertion dans la vie active des handicapés.

Le temps des alliances économiques

La Norvège a adhéré à l’O.T.A.N. (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) en 1949, sa frontière avec l’U.R.S.S. dans l’extrême Nord l’inclinant à coopérer avec l’Occident. Les événements de Hongrie en 1956 mirent fin aux discussions concernant cette participation. Mais avec le temps, les tendances neutralistes du pays semblent plutôt se fortifier; les bases étrangères sont interdites sur le territoire norvégien.

Son appartenance depuis 1957 au Conseil nordique affirme le renforcement des liens entre nations scandinaves. Cependant ce Nordek, fruit de longues négociations depuis la première réunion de Copenhague de février 1953, ne crée encore qu’une union économique et douanière entre la Norvège, la Suède, le Danemark et la Finlande, dont l’application est prévue pour le 1er janvier 1972; mais déjà les passeports ont été supprimés et uniformisées les conventions de sécurité sociale et la législation pénale. La nouvelle organisation nordique aura une banque d’investissements pouvant consentir des prêts aux industriels des quatre pays. La création d’un Conseil des ministres nordique est envisagée.

Depuis 1961, aucun parti ne détient la majorité au Storting. Entre 1965 et 1971, le pays eut un gouvernement de coalition, puis des gouvernements minoritaires. Depuis 1973, un gouvernement émanant du parti travailliste s’est appuyé sur le parti socialiste de gauche dans certaines affaires et sur un ou plusieurs partis, notamment en politique étrangère.

Sous Olaf V (r. 1957-1991), suivant les autres pays scandinaves et la Grande-Bretagne, la Norvège est entrée, en 1960, dans la petite zone de libre-échange ou A.E.L.E. Mais, dès 1962, elle a présenté sa demande d’adhésion au Marché commun élargi. En juillet 1967, elle a renouvelé cette demande, après délibération du Parlement d’Oslo; sur cent cinquante voix, cent trente-six se sont exprimées en sa faveur, treize seulement ont voté contre. Son entrée dans la C.E.E. posera des problèmes propres à la situation géographique et à la structure économique du pays, notamment en matière d’agriculture et de pêche.

Le référendum du 25 septembre 1972 n’a donné que 46,1 p. 100 seulement de «oui», une majorité de 53,49 p. 100 des votants a répondu «non». Le nouveau cabinet minoritaire a aussitôt demandé aux Communautés européennes l’ouverture de négociations pour conclure un accord de libre-échange. L’accord a été signé à Bruxelles (mai 1973). Il prévoit la suppression des droits de douane sur les produits industriels en juillet 1977, mais avec une période transitoire plus longue pour certains produits considérés comme «sensibles» par la Communauté. Cette liste est importante pour la Norvège: produits de l’industrie du papier, carbure de silicium, ferro-alliages, magnésium, nickel et aluminium. La Norvège a obtenu de la Commission de Bruxelles des concessions substantielles pour certains produits de la pêche et de l’élevage.

La coopération entre les pays nordiques prend des aspects multiples. Outre les organismes officiels, dont le plus important est le Conseil nordique, un réseau de contacts officieux s’est établi, resserrant les liens internordiques, non seulement en matière de sécurité, mais aussi dans le domaine de l’éducation, de la politique sociale, du marché du travail, de l’harmonisation des lois et de la culture. Les gouvernements successifs ont traité avec prudence les problèmes concernant le Spitzberg; pour ménager l’U.R.S.S., la Norvège n’accorde aucune concession pétrolière à des firmes étrangères au nord du 62e parallèle et le Storting, par souci de maintenir le délicat équilibre nordique, interdit la présence d’armes nucléaires sur le territoire.

Dès la création de l’O.N.U., la Norvège y a joué un rôle actif; son ministre des Affaires étrangères, Trygve Lie, en fut le premier secrétaire général de 1946 à 1953. Cette adhésion a influencé de manière décisive sa politique étrangère; elle a envoyé des unités militaires participer aux opérations de sauvegarde de la paix au Liban et a détaché des experts à propos du développement des pêcheries.

Depuis le milieu des années 1950, la Norvège accorde une aide qui ne cesse de s’accroître aux pays en voie de développement.

L’importance stratégique de la Norvège a été démontrée lors de la Seconde Guerre mondiale. Le royaume entend assumer sa sécurité et son indépendance en joignant ses forces à celles de l’O.T.A.N. La garantie de l’O.T.A.N. est concrétisée par l’établissement à Kolsås, près d’Oslo, du quartier général des Forces alliées et par l’implantation dans le nord du pays de quatre aérodromes militaires à Bodø, Bardufoss, Andørja et Banak. Une installation radar, à Vardø, surveille l’immensité arctique. Environ 10 p. 100 du budget pour 1979 (7 millions 300 000 couronnes) sont attribués aux forces armées; cette somme, la plus importante qui fut jamais votée et à une large majorité, est destinée à de nouveaux équipements, à l’entraînement des troupes de la Garde nationale et de la conscription, selon la tradition de l’ordonnance de Christian IV de 1628, au recrutement de nouveaux officiers, dont du personnel féminin, à la modernisation de la flotte et des défenses côtières, ainsi qu’à la formation des pilotes d’avions à réaction au Canada et aux États-Unis.

5. L’ère pétrolière

La démographie

Avec 4 299 231 habitants au 1er janvier 1993, ce qui représente une densité de 13,3 habitants par kilomètre carré, la Norvège est un pays peu peuplé où la population est de surcroît fort inégalement répartie et se concentre dans la partie méridionale, et plus particulièrement sur le littoral sud et sud-ouest. Cela est dû à la physionomie du pays et à des conditions naturelles défavorables. Les principales villes, d’importance modeste, à l’exception de la capitale Oslo (682 679 hab.), sont toutes des ports! Bergen (187 382 hab.), Trondheim (130 522 hab.), Stavanger (97 328 hab.), Drammen (58 717 hab.), Kristiansand (54 267 hab.), Fredrikstad (50 170 hab.) et Tromsø qui approche les 50 000 habitants. Toutes les autres cités en ont nettement moins.

Dans cette population composée pour 49,4 p. 100 d’hommes et 50,6 p. 100 de femmes, 20,5 p. 100 ont moins de quinze ans et 14,5 p. 100 plus de soixante-sept ans. L’espérance de vie est de soixante-quatorze ans pour les hommes et de quatre-vingts pour les femmes. En 1991, le taux de natalité était de 14,3 et le taux de mortalité de 10,5, ce qui dégageait un léger accroissement naturel. L’immigration, peu importante, ne pose pas de réels problèmes.

La population active comptait en 1991 1 973 000 personnes, dont 55 p. 100 d’hommes et 45 p. 100 de femmes (tabl. 1). En 1992, la Norvège comptait 114 400 personnes sans emploi, soit un taux de chômage de 5,9 p. 100.

L’économie

Des activités primaires en recul et assistées

L’agriculture

Les conditions climatiques, pédologiques et topographiques sont, dans l’ensemble, peu favorables à l’activité agricole. Celle-ci n’occupe que 3,5 p. 100 de la superficie totale du pays, notamment dans la partie méridionale, dans le fond des vallées et en bordure des fjords. Environ la moitié seulement de cette superficie agricole utile est consacrée aux labours, ce qui explique la modestie des résultats de ce secteur. La part de la population active agricole a diminué régulièrement depuis la fin des années 1970, pour ne plus représenter que 4 p. 100 de la population active en 1991.

À l’instar de la plupart des pays européens, les campagnes norvégiennes ont connu de profondes transformations: les structures agraires se sont améliorées en partie grâce au départ des propriétaires des plus petites unités, peu viables. Un relatif regroupement a pu être opéré, mais la petite exploitation de 10 hectares domine toujours le paysage agraire norvégien. La mécanisation a fait également une entrée en force sur les exploitations, toutes équipées de tracteurs. Le paysan norvégien fait cependant appel au système coopératif pour l’utilisation de matériel plus sophistiqué et plus coûteux. Les organes coopératifs se sont multipliés pour faire face aux trop grosses dépenses d’exploitation sur des unités de si petite taille. L’agriculture en Norvège comme ailleurs est en effet devenue une «activité lourde», et le système coopératif intervient aussi bien pour la vente et la transformation des produits que pour les achats, le crédit ou la recherche.

En 1991, année plutôt médiocre, il a été récolté 1,482 million de tonnes de céréales, principalement de l’orge (45 p. 100) et de l’avoine (38 p. 100), 415 000 tonnes de pommes de terre, 101 000 tonnes de betteraves et 3,420 millions de tonnes de foin. La production de légumes en plein champ, où les carottes représentent 38 p. 100, s’est montée à 103 098 tonnes. Parallèlement, les Norvégiens ont développé une culture sous serre non négligeable dont la production atteint 20 510 tonnes (concombres, 48 p. 100; tomates, 46 p. 100). La récolte de fruits, où dominent les pommes (68 p. 100), a été de 20 219 tonnes. À cela il convient d’ajouter les fraises (12 539 t) et les baies diverses.

Le cheptel comprenait 17 863 chevaux, 949 805 bovins, dont 340 594 vaches laitières, 88 200 porcs, 905 100 moutons, 67 737 chèvres et plus de 3,5 millions de volailles. À cela il convient d’ajouter des élevages d’animaux à fourrure (renards et visons) et un troupeau de plus de 200 000 rennes. Il en est résulté, pour 1991, une production de 222 000 tonnes de viande (38 p. 100 pour le bœuf et pour le porc), 192 800 tonnes de lait, 21 000 tonnes de beurre et 82 000 tonnes de fromage. En 1991, l’agriculture a rapporté 20,052 milliards de couronnes (1 couronne norvégienne = 0,783 franc en 1994), dont 69 p. 100 pour les produits de l’élevage.

Malgré des investissements importants, les rendements agricoles restent bien inférieurs aux moyennes européennes, et plus de la moitié de la consommation intérieure doit être assurée par des importations. La tendance générale est au recul de la production végétale au profit de l’élevage bovin en stabulation et de l’élevage ovin qui assurent désormais au pays une quasi-autarcie dans le domaine des productions alimentaires animales (lait, beurre, viande, œufs, fromages). Il n’en est cependant pas de même dans le domaine des céréales, puisque l’essentiel de la production est consacré à l’alimentation du bétail. La Norvège doit donc importer pratiquement la totalité des céréales destinées à l’alimentation humaine. De même, malgré un accroissement régulier – en relation avec la révolution agronomique – des productions fruitières et légumières, le pays reste très dépendant de l’extérieur. Cela explique que la balance agricole soit toujours fortement déficitaire.

L’agriculture norvégienne est par excellence un secteur assisté. En termes d’équivalent-subvention à la production – cela ne manquerait pas de soulever des problèmes non négligeables en cas d’adhésion à l’Union européenne –, elle bénéficie d’aides qui dépassent de trois quarts environ la moyenne des pays de l’O.C.D.E. (12,2 milliards de couronnes en 1993 par le jeu d’accords signés avec les syndicats d’agriculteurs relativement puissants). L’objectif est de contenir l’exode rural pour maintenir une structure d’équipement et d’habitat satisfaisante. Cette aide, qui revêt diverses formes, depuis la garantie des prix à la production jusqu’à la réglementation des importations, a permis d’améliorer sensiblement le niveau de vie des producteurs agricoles; ces derniers ont ainsi comblé le retard accumulé par rapport aux autres secteurs d’activité. Beaucoup d’observateurs estiment qu’être agriculteur de nos jours en Norvège équivaut pratiquement à posséder une rente. Mais la vitalité de l’agriculture doit être préservée pour justifier une politique d’aménagement et d’intégration territoriale, en particulier des zones périphériques du pays, et pour freiner le déséquilibre entre le Nord et le Sud qui avait tendance à s’accentuer, la Norvège méridionale regroupant une trop grande part de la population et des activités économiques. Malgré le mieux-être des campagnes, on peut constater une très forte proportion (deux exploitants sur trois) de paysans à temps partiel, c’est-à-dire d’actifs ruraux trouvant dans d’autres activités une source supplémentaire de revenus (pêche et, de plus en plus, aquaculture pour les côtiers). La désaffection pour la terre reste sensible, bien que les exploitants norvégiens soient tous propriétaires. Une très ancienne règle de droit garantit en effet le maintien de la terre dans la famille de l’agriculteur, la retirant ainsi du marché libre. Le caractère familial de l’exploitation norvégienne est donc un trait dominant, et, malgré l’aspect souvent intensif de la production, en relation avec la brièveté de la saison agricole, le nombre de salariés agricoles est très réduit. Il est vrai que les salaires dans ce secteur sont peu attractifs.

La sylviculture

Le recul de l’agriculture en pourcentage et en valeur affecte d’ailleurs l’ensemble du secteur primaire: en effet, les deux ressources complémentaires majeures de l’activité agricole que sont la sylviculture et la pêche ne représentent plus respectivement en 1991 que 1,7 et 0,7 p. 100 du P.N.B. norvégien. C’est souvent par l’exploitation de la forêt, dont ils possèdent les deux tiers de la superficie, que les agriculteurs norvégiens complètent leurs revenus. La population des campagnes conserve également des droits d’abattage sur les forêts domaniales et paroissiales pour la satisfaction de ses besoins en bois de chauffage et de construction. Les forêts productives couvrent environ 70 000 kilomètres carrés. En 1991, il a été abattu et commercialisé 9,888 millions de mètres cubes, dont 92 p. 100 en résineux, le reste se partageant entre feuillus et bois de chauffage. La forêt n’occupe que 0,3 p. 100 de la population active, mais elle fournit la matière première à une activité industrielle qui traditionnellement est largement exportatrice, celle des industries du bois. Ce secteur a connu une évolution très rapide. Bien que la coupe se fasse toujours en hiver, la construction de routes forestières explique le recul du transport du bois par traîneau ou par flottage au moment des crues printanières. Les bois de charpente et de sciage ont été, avec le poisson, les premiers produits norvégiens représentés sur le marché international. Mais aujourd’hui, et il en est de même pour de nombreux articles tirés de la forêt – comme le mobilier et les maisons préfabriquées –, la plus grande partie de la production est absorbée par le marché intérieur. Quant à la pâte à papier, la production nationale est désormais insuffisante, en particulier pour les papiers de qualité, et la Norvège doit désormais en importer pour couvrir une partie de ses besoins (1,66 million de mètres cubes en 1991).

La sylviculture a été largement mécanisée et motorisée; pourtant, elle reste éparpillée en un trop grand nombre de petites unités; celles qui sont supérieures à 1 000 hectares ne comptent que pour 10 p. 100 du nombre total mais représentent plus de 60 p. 100 de la superficie de l’ensemble. La Norvège a mis en place une politique d’aide au reboisement, fruit d’une coopération étroite entre les propriétaires et l’État. Des programmes de formation et de recherche complètent les mesures de protection et de mise en valeur plus rationnelle des forêts.

La pêche

La pêche continue à être un facteur de poids pour le marché intérieur et pour l’exportation. Elle constitue surtout une ressource essentielle pour les populations des nombreuses régions côtières même si elle ne représente que 0,7 p. 100 du P.N.B. et 1,2 p. 100 de la population active. Encore faut-il noter que sur les 26 752 pêcheurs, 74 p. 100 seulement exercent cette activité à temps complet car la pêche, surtout combinée à une petite activité agricole, demeure un important revenu d’appoint. Cela explique qu’à côté de chalutiers et de navires-usines spécialisés dans la pêche lointaine une bonne partie des prises se fasse à proximité du littoral.

En 1977, lors de la conférence de l’O.N.U. sur les droits maritimes, la zone économique norvégienne était étendue à 200 milles marins. Il est généralement interdit à d’autres pays de pêcher à l’intérieur de la zone norvégienne, mais certains traités ont été conclus, en particulier avec l’Union soviétique, la C.E.E. et les États scandinaves voisins, les espèces les plus importantes étant communes à la Norvège et à ces différents pays. Les accords de pêche réciproques ont permis de mettre en place une balance plus équitable quant aux quotas et à la nature des prises. La pêche lointaine est pratiquée dans tout l’Atlantique Nord, de Terre-Neuve à la mer de Barents, du Svalbard et du Groenland à la mer du Nord.

En 1992, si l’on excepte les embarcations les plus petites, la flotte de pêche se composait de 8 791 unités jaugeant 295 430 tonnes de jauge brute (tjb). Elle a rapporté 2 389 665 tonnes de poissons pour une valeur de près de 5 milliards de couronnes. En tonnage, le capelan représente de loin l’essentiel des prises (34 p. 100), c’est-à-dire plus que le cabillaud, le hareng et le maquereau réunis. Il n’en va naturellement pas de même en valeur, le capelan étant utilisé pour la fabrication de farine et d’huile. Le cabillaud vient alors en tête (23 p. 100) devant les crevettes (17 p. 100), le colin et le maquereau (8,2 p. 100 chacun)

L’un des derniers développements du secteur de la pêche en Norvège est l’expansion rapide de l’aquaculture dans les communautés côtières: l’objectif est d’essayer de compenser l’appauvrissement des réserves de poisson de mer et de répondre à une demande croissante du marché international. Alors que la production mondiale baisse à cause des problèmes que pose la contamination des bancs de moules et d’huîtres, les eaux claires et fraîches des côtes et des fjords norvégiens offrent des conditions idéales pour l’élevage de coquillages en parcs. Ces centres d’élevage de moules, d’huîtres, mais aussi, et de plus en plus, de saumons et de truites saumonées, se sont multipliés et semblent promis à un bel avenir. La production de saumons d’élevage est de l’ordre de 150 000 tonnes. Un faible pourcentage de ce poisson est consommé frais, la plus grande partie passant par les quelque 230 usines de transformation que compte le pays. La Norvège exporte en effet sous une forme ou une autre (surgelés, congelés, salés, séchés, fumés, mis en conserve) 90 p. 100 des prises. Ainsi, en 1992, les exportations de poissons, crustacés et produits en découlant se sont-elles élevées à 14,46 milliards de couronnes, soit 6,6 p. 100 de la valeur des exportations. Les poissons frais et surgelés en représentent environ 63 p. 100. Mais l’importance de la pêche dépasse cette simple dimension de comptabilité nationale. Elle constitue, en effet, avec ses industries dérivées, l’essentiel de l’activité économique dans de nombreux districts côtiers, en particulier ceux du nord du pays (Finnmark, Troms, Nordland). L’industrie du poisson, avec ses petites et moyennes usines échelonnées tout au long de la côte, est un facteur important de la politique régionale.

Dans une branche où l’approvisionnement en matières premières peut varier notablement d’une saison à l’autre, il était nécessaire de garantir la stabilité et la régularité des revenus. Un système coopératif complet a été peu à peu mis en place: les organisations de pêcheurs assurent ainsi la vente directe des poissons et crustacés. De nombreuses entreprises sont gérées par les pêcheurs eux-mêmes. Ces organisations interviennent également dans la discussion des problèmes nés du développement de l’exploitation pétrolière, qui a soustrait à l’activité de la pêche de vastes zones maritimes. Les pêcheurs, par leurs représentants, participent à l’élaboration des nombreux règlements destinés à protéger les zones de pêche ou à freiner les tendances à la surexploitation des ressources de la mer. Dans un pays où les coûts de production restent très élevés, il a longtemps été difficile, pour les produits de la pêche, d’obtenir sur le marché intérieur ou international des prix susceptibles de couvrir ces coûts. La politique du gouvernement en ce domaine, comme dans tout le secteur primaire, est d’assurer des revenus correspondant à ceux des salariés de l’industrie. Ainsi se sont multipliées des aides financières en direction des industries de la pêche, qui demeurent pour le pays un secteur vital.

Des activités minières très limitées

La Norvège possède certes une longue tradition d’industrie minière, mais celle-ci demeure tout à la fois dispersée et limitée. En 1992, la production de minerai de fer, en baisse, a été de 1,349 million de tonnes, avec les deux grands gisements de Sydvaranger près de la frontière soviétique, et de Rana, près du cercle polaire. Ce minerai a permis de produire dans les usines de Mo-i-Rana 360 000 tonnes d’acier. Le zinc reste un minerai important avec 18 000 tonnes contre 20 000 tonnes pour le cuivre et 125 000 tonnes pour les pyrites de fer.

Quant au charbon, extrait dans l’archipel du Svalbard, sa production est tombée à 311 000 tonnes (1992) destinées principalement à alimenter la cokerie de Rana alors que la consommation de charbon en Norvège demeure très faible.

À ces quelques ressources il faudrait ajouter les mines de quartz, de feldspath, ainsi que les carrières de granite, marbre et ardoise qui fournissent la matière première soit à l’industrie chimique ou à la fabrication de ferro-alliages, soit à la construction. Au total, les activités minières n’occupent qu’une place réduite, bien que toujours indispensable, dans le bilan productif du pays.

Les bases de la prospérité: dynamisme et faiblesses

L’hydroélectricité

La croissance économique de la Norvège est en fait liée en grande partie au développement d’une industrie qui reste fortement consommatrice d’énergie. Si la mer a mis depuis les années 1960 à la disposition des Norvégiens les immenses richesses énergétiques de son sous-sol, leur exploitation n’est pas sans aléas. Le pays bénéficie d’un atout solide avec l’eau douce, partout abondante dans une topographie glaciaire offrant des possibilités de retenue et de captage extraordinairement nombreuses et régulières. Des régions accidentées, autrefois sans valeur, ont pris une importance exceptionnelle dès lors qu’elles offraient des sites propices au développement de l’hydroélectricité, et cela pour des coûts d’aménagement relativement bas si on les compare avec ceux de l’offshore. Grâce à une capacité de production annuelle se situant autour de 120 milliards de kilowattheures, dont 99 p. 100 d’origine hydraulique, la Norvège est ainsi, avec 25 083 kilowattheures, soit plus du double des États-Unis, le premier pays consommateur d’électricité au monde par habitant. Une industrie efficacement tournée vers l’exportation a pu aussi être alimentée. Parallèlement, la houille blanche a pénétré dans les foyers, facilitant la vie de tous les jours, ce qui est loin d’être négligeable dans un pays au climat rude et à l’habitat dispersé. La Norvège est parvenue à couvrir 60 p. 100 de ses besoins énergétiques grâce à l’électricité. Une grande partie du potentiel n’a pas encore été exploitée, pour des raisons d’ordre à la fois économique et écologique. L’augmentation régulière de la consommation hydroélectrique soulève, à moyen terme, le problème de la couverture des besoins énergétiques du pays, la possibilité du recours au nucléaire ayant été repoussée. Mais, après la découverte des énormes gisements de la mer du Nord, on envisage de se tourner vers le gaz.

La Norvège exporte une faible partie de sa production (6 milliards de kWh en 1991), en particulier vers le Danemark et la Suède. Le prix encore relativement bas du kilowattheure d’électricité non seulement assure le confort des foyers individuels, mais a suscité le développement d’industries modernes, en particulier celles de l’aluminium, des ferro-alliages et du magnésium. L’industrie norvégienne a opéré sa marche à la mer: les usines se sont en effet installées là où elles pouvaient trouver à la fois d’importantes sources d’énergie et de bonnes possibilités d’approvisionnement en matières premières. La Norvège a produit en 1992 872 000 tonnes d’aluminium même si la bauxite doit être importée. Les ventes à l’étranger représentent 4,4 p. 100 des exportations. La société la plus importante est Hydro Aluminium, fruit de la fusion intervenue en 1986 entre la division «aluminium» de Norsk Hydro et Aardal & Sunndal Vaerk. Mais la Norvège est également l’un des plus gros producteurs européens de ferro-alliages (ferro-silicium et ferro-manganèse).

L’électrométallurgie est surtout un secteur d’exportation. Si l’on excepte le pétrole et le gaz, la valeur des produits électrométallurgiques représente le quart de la valeur totale des exportations norvégiennes. En relation directe avec l’exploitation des richesses hydroélectriques, l’industrie électrotechnique s’est considérablement développée: souvent industrie de pointe, elle est également fortement exportatrice. Ainsi l’hydroélectricité a-t-elle été considérée comme la mère de l’industrie norvégienne. Par ses activités induites, elle a surtout permis au pays d’atteindre un niveau avancé de technologie industrielle et de recherche; la Norvège se préparait ainsi à relever, en partie, le grand défi qu’allait constituer la découverte de pétrole et de gaz sur son plateau continental en mer du Nord à la fin des années 1960.

Les hydrocarbures: atouts majeurs mais inconstants

Les exportations d’hydrocarbures constituaient, en 1982, 35 p. 100 des exportations totales du pays, soit près de 15 p. 100 du P.N.B. En 1985, avant la chute des prix, ces proportions avaient atteint respectivement 40 p. 100 et 20 p. 100. Le secteur pétrolier avait dépassé le secteur manufacturier sur le plan de la contribution au produit national brut. Si la production norvégienne restait modeste au niveau mondial, elle permettait de dégager, en 1985, un excédent de la balance commerciale représentant 5 p. 100 du P.N.B. Le ralentissement des importations et l’accroissement des ventes à l’étranger contribuaient à rendre largement excédentaire la balance des paiements. Cette excellente position commerciale permettait à la Norvège d’effectuer le remboursement des emprunts étrangers qui lui avaient été accordés pour financer les activités pétrolières et de renforcer à l’extérieur son crédit financier et moral. D’une manière générale, les revenus du pétrole et les emplois créés par les activités d’exploration et d’exploitation permettaient de protéger le pays de la récession et de maintenir un niveau relativement faible du chômage – 2 p. 100 de la population active en 1982 – par rapport à l’ensemble des pays de l’O.C.D.E. Les revenus du pétrole contribuaient aussi à améliorer globalement le niveau de richesse du pays, tant dans le secteur privé que dans le secteur public. Le P.N.B. avait enregistré en volume une croissance moyenne de 3 à 4 p. 100 entre 1975 et 1981.

Au moment où, au début des années 1980, l’ère du pétrole entrait dans sa deuxième décennie, de nombreuses inquiétudes se faisaient jour dans les milieux économiques norvégiens. De 2 à 3 p. 100 de la main-d’œuvre nationale se trouvaient directement employés dans l’industrie pétrolière offshore. Les activités à terre (construction de plates-formes, pétrochimie, raffinage) constituaient une importante source d’emplois qualifiés servant, dans un premier temps, à reclasser les ouvriers de nombreuses industries fragilisées par la concurrence étrangère ou la crise mondiale, telles les constructions navales. Mais l’augmentation des revenus pétroliers et les salaires élevés dans ce secteur avaient tendance à amplifier les poussées inflationnistes qui pesaient dès lors sur une structure de production en perte de productivité et de compétitivité.

Dans le même temps, deux nouvelles tendances se dessinaient: tout d’abord, la volonté de «norvégianiser» les extensions des activités offshore au-delà du 62e parallèle au large des îles norvégiennes du Nord et du Centre, où des champs prometteurs avaient été découverts. Ce sont les sociétés nationales – comme les entreprises d’État Statoil, Norsk Hydro – ou privées – comme Saga Petroleum – qui se sont vu attribuer des blocs, alors qu’auparavant les opérateurs étaient en majorité soit des compagnies étrangères, soit les filiales norvégiennes de celles-ci (Phillips Petroleum, Agip, Elf, Fina, Esso). Il en est de même avec les concessions, pour lesquelles les sociétés norvégiennes n’ont pas cessé de bénéficier d’un régime préférentiel. Les entreprises étrangères ont été amenées à former des joint-ventures industriels avec des sociétés nationales. L’objectif est de permettre à la Norvège d’obtenir des marchés, des matières premières ou une coopération technologique étrangère. La seconde tendance est l’utilisation des revenus du pétrole pour étendre la participation internationale des entreprises norvégiennes grâce à la création de filiales étrangères ou à l’achat de sociétés étrangères déjà en place. On vise ainsi à restructurer les activités manufacturières pour les placer en position dominante dans le domaine de la technique, de la fabrication des matériels et dans celui des services liés au pétrole. L’industrie en profita pour relever le nouveau défi technologique qu’impose l’exploitation en mer profonde (plus de 200 m) où se situent les trois quarts des réserves en pétrole et gaz qui peuvent encore être mises en valeur.

On n’a sans doute pas fini de spéculer en Norvège sur le double visage de cette énorme richesse et de cette chance. Stimulant pour la vie économique tout entière par ses retombées, le pétrole peut aussi bien contribuer à juguler les menaces de récession que bouleverser les structures productives du pays. Il peut masquer les problèmes et entretenir artificiellement la croissance sans que soient posées les questions relatives à une indispensable transformation des structures de l’industrie et du commerce, inégalement réparties, inégalement armées face à la concurrence étrangère, et dont la productivité a eu tendance à stagner.

C’est avec la chute brutale des prix de l’or noir en 1986 et le déficit qu’elle a entraîné que la Norvège devait prendre véritablement conscience de cette fragilité. Depuis les années 1970, la discussion sur la meilleure manière de gérer les revenus du pétrole est ouverte et constitue un élément important du débat social et politique. Il est cependant significatif qu’un accord général ait pu se faire sur un rythme modéré en matière d’exploitation des ressources pétrolières. Pourtant, les réserves norvégiennes représentaient, en 1987, 35 p. 100 des réserves de pétrole brut et 50 p. 100 des réserves de gaz connues en Europe occidentale. Le directorat des Pétroles et de l’Énergie a estimé, la même année, les réserves totales de pétrole et de gaz norvégiens à 5 milliards de tonnes d’équivalent pétrole (tep). Mais, d’après les experts, on devrait découvrir, avant le début du XXIe siècle, cinq autres milliards de tep sur des gisements localisés principalement dans la mer de Barents. À la fin de 1986, 0,5 milliard de tep seulement avaient été extraites.

Depuis 1986, la production de pétrole, malgré la variation des cours, n’a cessé d’augmenter, passant de 42 millions de tonnes à 106,60 en 1992. Les principales zones d’exploitation sont Statfjord, Oseberg et Gullforks qui représentent 71,5 p. 100 des quantités extraites. Pour ce qui est du gaz naturel, la production, en revanche, a oscillé entre 25 et 30 milliards de mètres cubes, atteignant 27,732 milliards en 1992. Les principaux sites d’exploitation sont Ekofisk, Frigg, Stattfjord et Heimdal d’où proviennent les trois quarts environ de ce qui est extrait. La valeur brute de la production s’est élevée à 138,694 milliards de couronnes, et les bénéfices nets dégagés à plus de 36 milliards. Qu’il s’agisse de pétrole ou du gaz, la production est massivement exportée (de l’ordre de 90 p. 100 dans les deux cas). Ce secteur emploie à peu près 16 000 personnes. En l’état actuel des prévisions, les ressources seraient épuisées à 40 p. 100 pour le pétrole et à 20 p. 100 pour le gaz naturel. Le rythme modéré d’exploitation répond non seulement au souci de faire durer la «manne pétrolière», mais aussi à celui de mieux répartir ses effets dans le temps; il s’agit de permettre à l’économie de renforcer et de diversifier son potentiel industriel et de lever le risque d’une trop grande dépendance vis-à-vis d’un seul produit. De même sont prises en compte maintes considérations sur le plan de l’écologie et de la sécurité.

Commerce et transports

Grâce aux hydrocarbures, la balance des échanges commerciaux est nettement favorable à la Norvège. En 1992, les exportations ont été de 218,374 milliards de couronnes, dont 109 217 (82,658 pour le pétrole), soit à peu près la moitié, pour les hydrocarbures. Composées principalement de biens d’équipement et de consommation ainsi que de denrées alimentaires, les importations, quant à elles, ont plafonné à 161,931 milliards.

Tant aux importations qu’aux exportations, la Norvège accomplit l’essentiel de son commerce avec les pays de l’Europe occidentale, des partenaires solvables, et plus particulièrement avec ses voisins nordiques qui occupent une place privilégiée (26,6 p. 100 aux importations et 14,3 p. 100 aux exportations). La Suède et l’Allemagne réunifiée sont les premiers fournisseurs du pays tandis que le Royaume-Uni, auquel le lie une longue tradition commerciale, l’Allemagne et la Suède sont ses principaux clients (tabl. 2).

Le sort des Norvégiens a toujours été lié à la mer. Cette affirmation est confirmée par la place qu’a occupée, jusqu’à ces dernières années, la marine marchande. En 1982, la Norvège possédait en effet la cinquième flotte mondiale après celles du Liberia, du Japon, de la Grèce et de la Grande-Bretagne. Cette flotte d’un millier de bateaux naviguait essentiellement dans les eaux lointaines pour le compte des pays étrangers. Jusqu’en 1974, la marine marchande apportait à la Norvège environ le tiers de ses recettes totales en devises étrangères. À la fin des années 1970, cette part avait beaucoup diminué au profit des activités pétrolières, mais la marine marchande continuait à jouer un rôle de premier plan dans l’économie norvégienne; elle avait su en effet rapidement s’adapter aux nouveaux marchés qui s’offraient à elle. Les armateurs norvégiens (plus de 200 sociétés de navigation, toutes privées, étaient engagées dans le commerce international) s’étaient de plus en plus écartés des gros pétroliers et transporteurs de vrac pour se tourner vers l’exploitation de bâtiments plus petits, mais techniquement plus sophistiqués tels que les transporteurs de gaz, de produits chimiques, les bateaux roll on-roll off et les unités spécialisées pour l’industrie pétrolière offshore. La flotte norvégienne se distinguait surtout par sa jeunesse et sa haute spécialisation.

À partir de cette date, la Norvège commença à régresser dans la hiérarchie mondiale avec un tonnage passé de 21,7 à 11 millions de tonnes de 1981 à 1987. Face à la concurrence internationale, elle était handicapée par des coûts de main-d’œuvre trop élevés. Devant cette évolution inquiétante frappant l’un des piliers de l’économie norvégienne, le Storting approuva, en mai 1987, la création d’un registre maritime international visant à dissuader les armements norvégiens de se tourner vers les pavillons de complaisance. Désormais, les armateurs peuvent recruter du personnel étranger et déterminer plus librement les salaires. De plus, les sociétés et les équipages étrangers, invités à s’installer en Norvège, y bénéficient d’importants avantages fiscaux.

Les résultats de cette politique ont eu des effets heureux puisqu’en 1992, pour les navires de 100 tbj et plus, la flotte affichait 21,982 millions de tonnes, dont 93 p. 100 portés sur le registre international. Ainsi, derrière les grosses armadas du Liberia et du Panamá, la Norvège n’était-elle précédée de peu que par la Russie, le Japon et la Grèce. Les tankers, au nombre de 368, constituaient 57 p. 100 du total. Malgré la concurrence des pays du Sud-Est asiatique, la Norvège parvient par ailleurs, au prix de lourdes subventions, à maintenir une modeste activité de constructions navales. Au début de 1992, neuf unités d’une contenance de 159 000 tonnes commandées par des armateurs locaux étaient ainsi en chantier.

Dans le domaine du trafic aérien, on a dénombré, en 1991, 17,649 millions de passagers, dont 73 p. 100 pour le trafic intérieur. Le plus grand aéroport du pays, Oslo-Fornebu, pour sa part, en a vu passer environ 6,5 millions.

En ce qui concerne la répartition du trafic intérieur des marchandises, celui-ci a atteint, en 1991, 325 millions de tonnes, dont environ 20 p. 100 par voie maritime. Malgré un réseau ne dépassant pas 90 000 kilomètres dans un pays tout en longueur et au relief malcommode, la route se taille la part du lion (65 p. 100 du total).

Il ne faut pas oublier enfin que la Norvège possède des paysages magnifiques, tels que les fjords, et offre, hiver comme été, sur terre comme sur l’eau, des possibilités touristiques qui, volontairement semble-t-il, ne sont pas exploitées au maximum. Il est vrai que le coût de la vie y est élevé et que ses habitants ne semblent pas pressés d’être envahis par des hordes de touristes étrangers. L’équipement hôtelier, bien que de qualité, est de taille modeste (116 000 chambres), ce qui est compensé, dans une certaine mesure, par l’existence de 783 terrains de camping homologués.

Il est indéniable, enfin, que les jeux Olympiques d’hiver de Lillehammer ont constitué, en 1994, une promotion remarquable pour le tourisme norvégien tant dans le domaine de leur préparation, où le respect de la nature a côtoyé les exploits techniques (patinoire souterraine de Gjøvik), que dans celui des performances sportives, où une équipe norvégienne épanouie rappela à ceux qui l’avaient oublié que la Norvège était le berceau du ski.

L’évolution de la vie politique et économique

L’alternance au pouvoir

Depuis 1981, la vie politique norvégienne a d’abord été marquée par un changement de règne en janvier 1991 quand le roi Harald V, né en 1937, a succédé à son père Olav V. Ce qui la caractérise ensuite, c’est, sauf exception, une alternance de gouvernements de coalition constitués soit autour du parti conservateur (Høyre), soit autour du parti travailliste (det norske Arbeider Parti). C’est ainsi que se sont succédé les cabinets Gro Harlem Brundtland I (travailliste) de février à octobre 1981, Kåre Willoch I (conservateur) d’octobre à juin 1983, Willoch II de juin 1983 à mai 1986, Harlem Brundtland II de mai 1986 à octobre 1989, une parenthèse de quelques mois avec Jan Peder Sysse (conservateur) et, depuis 1990, à nouveau Harlem Brundtland dont l’action a été confortée par les résultats des élections de septembre 1993.

À l’issue de celles-ci, en effet, les travaillistes ont obtenu 67 des 165 sièges que compte actuellement le Storting contre 63 en 1989, tandis que les conservateurs, handicapés par la campagne terne de leur nouveau chef, Kaci Kullmann Five, n’en retrouvaient que 28 (37 en 1989). Ils étaient même précédés par les centristes agrariens d’Anne Lenger Lahnstein qui, grâce à leurs positions anti-européennes, sont apparus comme les grands bénéficiaires de ce scrutin (32 sièges contre 11 en 1989). Si les chrétiens démocrates, enfin, maintenaient leurs positions (13 sièges contre 14), il n’en était pas de même des partis les plus extrémistes, à gauche des socialistes populaires (13 contre 17) et, surtout, à droite, le Parti du progrès, exutoire d’une tendance chauvine, populiste et démagogue qui, la crise aidant, avait accueilli les déçus des partis traditionnels (10 contre 22). Avec les conservateurs, ils apparaissaient comme les principales victimes du raz-de-marée centriste.

Les élections de 1981 avaient été marquées par l’avancée en voix et en sièges des partis bourgeois et en particulier des conservateurs. Ce changement de majorité ne traduisait pas une remise en cause radicale du modèle social-démocrate, mais un glissement subtil de l’opinion sur des questions qui avaient aiguisé la sensibilité nationale. Les partis qui siègent au Parlement norvégien ont beaucoup en commun et tous restent fermement attachés à la démocratie parlementaire. Le climat politique demeure dans l’ensemble serein, et les différends, s’ils sont nombreux, sont souvent aplanis par le souci de l’intérêt général qui l’emporte sur les positions qualifiées de partisanes. L’État-providence, la société de bien-être restent le seul système de valeurs qui puisse maintenir une solidarité organique dans le pays. Mais, face aux multiples discours sur la crise et à la nécessaire définition de solutions de rechange, le parti travailliste avait fait preuve d’hésitations. Il est significatif que le changement politique ait coïncidé avec le débat portant sur le projet d’installation d’armes nucléaires tactiques en Europe et surtout le stockage de certaines de ces armes sur le territoire norvégien. La discussion avait en effet cristallisé un fort courant d’opposition pacifiste dans lequel la gauche du parti travailliste était représentée. Les tendances à une neutralité de type suédois ont toujours tenté les travaillistes malgré leur volonté de rester fidèles à l’Alliance atlantique. La Norvège est en effet membre à part entière de l’O.T.A.N., mais sans participer à sa stratégie nucléaire. De nombreux électeurs modérés, inquiets de l’indécision et des divisions du parti travailliste, avaient reporté leur confiance sur le parti conservateur, dont les positions sur les questions de défense et de sécurité leur apparaissaient plus fermes, en particulier le refus d’une Norvège dénucléarisée qui laisserait un «vide défensif» sur le flanc nord de l’O.T.A.N.

La seule surenchère de la production ou encore l’unique hypothèse de la croissance pour fonder le progrès et le bien-être en l’absence d’enjeux et de nouvelles finalités sociales étaient, par ailleurs, à l’origine d’un malaise particulièrement sensible au sein de l’électorat jeune (appelé pour la première fois à voter), de moins en moins disposé à accepter les contraintes et l’éthique de l’État-providence. Pour les nouvelles générations, la société de bien-être était un acquis: choyées, surprotégées, assistées dans bien des domaines, elles se «rebellaient» au nom d’un individualisme de bon aloi mettant en avant le goût pour l’indépendance et la différence. Réaffirmant le primat des droits et des responsabilités de l’individu, elles souhaitaient infléchir le modèle social-démocrate vers plus de libéralisme et étaient rejointes en cela par de nombreux groupes socioprofessionnels, soucieux de préserver l’initiative privée. Les orientations de la nouvelle équipe au pouvoir abondaient dans ce sens: adoucissement des contraintes et règlements qui freinaient l’action individuelle, réduction des dépenses publiques, allégement des charges pesant sur les entreprises pour leur permettre d’accroître leur compétitivité, volonté de réformer une bureaucratie envahissante, levée du blocage des prix mis en place pour combattre les poussées inflationnistes.

Les premiers résultats permirent un certain optimisme, avec notamment une réduction des déficits extérieurs grâce à une compression de la demande intérieure dès 1987. Le déclin de la consommation privée toucha surtout les biens durables: dès 1987, l’immatriculation des automobiles retrouvait son niveau de 1984 après avoir plus que doublé en 1985 et 1986. Néanmoins, il était extrêmement difficile au gouvernement d’assurer le succès à terme d’un programme assez original qui visait à la fois à améliorer la compétitivité de l’économie et à maintenir le niveau de l’emploi, dans le contexte de hausse rapide des salaires (environ 8 p. 100 en 1987) et d’une inflation permanente quoique en légère diminution (l’accroissement annuel des prix à la consommation approchait encore 8 p. 100 à la fin de 1987). La nouvelle législation introduite le 1er janvier 1987 et ramenant la semaine de travail de quarante à trente-sept heures et demie ne facilita pas la tâche de G. H. Brundtland. Le marché de la main-d’œuvre était désormais extrêmement étroit, et il y avait pénurie dans certains secteurs. Cette situation favorisait les hausses de salaires, soutenues généralement par la puissante L.O., et l’augmentation des prix de revient à la production ralentissait l’amélioration de la compétitivité de la Norvège sur les marchés internationaux. L’amélioration enregistrée à la suite de la légère augmentation du prix du pétrole en 1987 rendit en effet les partenaires sociaux plus exigeants tout en risquant aussi de compromettre les efforts pour renforcer l’économie non pétrolière.

Pourtant, aux élections législatives de septembre 1985, en enlevant 78 sièges sur un total de 157, la coalition bourgeoise perdait sa majorité au Parlement. Mais celle-ci échappait aussi aux travaillistes et socialistes de gauche qui n’emportaient de leur côté que 77 mandats. C’est en recevant le soutien des deux représentants du Parti du progrès, droite populiste, en position d’arbitres, que le gouvernement bourgeois pouvait provisoirement rester en place. En effet, en mai 1986, le Parti du progrès votait avec l’opposition contre le gouvernement et celui-ci démissionnait.

Les conservateurs durent donc céder la place au profit d’un gouvernement conduit par le chef du parti travailliste, Mme Harlem Brundtland. Il s’agissait d’un cabinet minoritaire, contraint d’obtenir une majorité au coup par coup: la Constitution norvégienne ne permet pas, en effet, de dissoudre le Parlement, et l’on ne pouvait pas procéder à de nouvelles élections avant 1989.

La tâche des travaillistes fut d’autant plus difficile qu’ils se trouvèrent immédiatement confrontés dès 1986 à la chute des cours du pétrole sur le marché international qui affecta profondément l’économie norvégienne. Le prix du baril, qui était de 30 dollars au début de l’année, s’effondra à un peu plus de 10 dollars, soit une perte de revenu de 7 500 dollars par foyer et par an. La part du secteur pétrolier dans le P.N.B. chuta de 20 à 10 p. 100 et les exportations d’hydrocarbures de 40 à 26 p. 100 en 1988. Or cette chute des revenus pétroliers venait se conjuguer, d’une part, avec une surchauffe de l’économie caractérisée par une forte hausse de la consommation privée, une baisse de l’épargne et une inflation élevée et, d’autre part, avec une détérioration sensible de la compétitivité des secteurs de l’économie hors pétrole. La pression de la demande intérieure entraînait un fort accroissement des importations, et la hausse des prix atteignait encore 9 p. 100 en 1986 (soit 5,5 p. 100 de plus que la moyenne de l’O.C.D.E.). La demande intérieure en 1986 était supérieure à celle qui était prévue pour 1989. La balance globale du commerce extérieur norvégien accusait soudain un déficit de 6,5 p. 100 du P.I.B. en 1986, contre un excédent de 5 p. 100 l’année précédente. Mais la chute des prix des hydrocarbures n’a été que pour une part dans le lourd déficit de la balance des paiements courants qui a atteint 30 milliards de couronnes en 1987. La détérioration marquée de la balance hors énergie (déficit de 18 p. 100 du P.N.B. en 1986 et de 12 p. 100 en 1985) était en effet un autre facteur important, la Norvège n’ayant pas réussi à améliorer suffisamment la compétitivité de ces autres secteurs.

Le premier objectif de Gro Harlem Brundtland fut donc de mettre en place une politique d’austérité et de restructuration de l’économie. Afin de réduire le déficit extérieur par la relance de l’exportation, le nouveau gouvernement dévalua la couronne de 10 p. 100 et prépara pour le budget 1987 un programme de subventions à l’agriculture et à l’industrie, visant à les rendre plus compétitives. Parallèlement, pour limiter les importations, il mettait en place une politique de restriction de la consommation privée en rendant l’emprunt moins accessible. Une réforme fiscale destinée à être mise en application en 1990 visait à stimuler l’épargne et à décourager l’emprunt par une réduction drastique des possibilités de déductions fiscales. Mais, pour prévenir l’augmentation du chômage, l’équipe de Gro Harlem Brundtland engageait aussi de nouvelles dépenses sociales, en particulier au niveau local.

Bien que l’introduction, le 1er janvier 1987, d’une législation ramenant la durée de la semaine de travail de quarante à trente-sept heures allant de pair avec une attitude trop laxiste en matière de salaires ne lui ait pas facilité la tâche, les premiers résultats de la politique menée par Gro Harlem Brundtland furent loin d’être négligeables. C’est ainsi que l’on constata une réduction des déficits extérieurs grâce à une compression de la demande intérieure, notamment en biens de consommation. Avec 8 p. 100 en 1987, l’inflation, en revanche, continuait de demeurer préoccupante.

Sept ans après, malgré plusieurs années de stagnation de la production et de l’emploi, grâce à un effort rigoureux d’assainissement financier de la part des ménages et des entreprises, qui n’a pas été sans provoquer de graves difficultés dans le secteur bancaire, on peut affirmer que, la hausse du cours du pétrole fournissant d’importants excédents à la balance extérieure courante, Gro Harlem Brundtland a remis son pays sur la bonne voie. Le taux d’inflation n’a cessé de diminuer, se stabilisant à un niveau encourageant (2 p. 100), et la compétitivité extérieure des coûts s’est améliorée de même que l’endettement extérieur. Revers de la médaille, une certaine morosité dans les domaines de la consommation privée (augmentation de seulement 22,5 p. 100 de 1987 à 1992) et de l’investissement des entreprises et une politique budgétaire laxiste (environ 54 milliards de couronnes de déficit prévus en 1993). En effet, comme dans tous les pays scandinaves, l’existence d’un État-providence implique un lourd prélèvement fiscal qui, en 1991, représentait 55,2 p. 100 du P.I.B. Le budget de 1992 engagea pour 45,314 milliards de couronnes de dépenses alimentées par 39,726 milliards de recettes, notamment par les cotisations sociales (21 p. 100), la T.V.A. (16 p. 100), les taxes sur l’extraction pétrolière (7 p. 100). Aux dépenses, les postes les plus importants sont l’assurance sociale (25 p. 100), les dépenses relatives à l’exploitation des hydrocarbures (10 p. 100), les finances et les douanes (7 p. 100). La défense nationale ne représente que 5 p. 100 du budget. En Norvège comme ailleurs, enfin, le taux de chômage qui n’a cessé de croître régulièrement (2,1 p. 100 en 1987, 6 p. 100 en 1993), malgré un gros effort dans le domaine des investissements publics (augmentation de la consommation publique de 35,6 p. 100 pour la période 1987-1992), suscite une inquiétude certaine.

Cela dit, en 1994, ayant tiré profit du passage au flottement de la couronne en décembre 1992, ce qui s’est traduit par une légère dévaluation de fait, la Norvège est un pays qui se porte plutôt bien et qui aborde la reprise annoncée des échanges internationaux dans de bonnes conditions.

Un nouvel environnement extérieur

Mis à part les relations privilégiées de voisinage avec le reste de la Scandinavie, l’axe de la politique étrangère norvégienne était indiscutablement orienté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale vers les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’O.T.A.N. Sans renier ces liens historiques et stratégiques, la Norvège manifesta au cours des années 1980 un intérêt de plus en plus marqué pour la Communauté européenne et, depuis la récente évolution du régime de Moscou, une reconsidération de ses relations avec un interlocuteur qui, en l’espace d’une douzaine d’années, est passé de l’U.R.S.S. de Brejnev à la Russie d’Eltsine à travers la parenthèse gorbatchévienne.

Les recherches actuelles et la future mise en exploitation de gisements d’hydrocarbures en mer de Barents contraignent la Russie et la Norvège au dialogue, voire au bon voisinage, pour s’accorder sur leurs zones respectives, puis pour jeter les bases d’une coopération technologique. Certes, dans l’esprit des Norvégiens, le danger russe n’a pas disparu, et la présence d’un énorme arsenal militaire dans la péninsule de Kola et la région de Mourmansk les incite à la prudence. Ces côtes libres de glaces abritent la moitié des sous-marins russes porteurs de missiles nucléaires et les plus importantes installations militaires de Russie. Si la Norvège n’a pas accepté la présence sur son territoire de bases occidentales permanentes ni l’entreposage d’armes nucléaires, elle consent en revanche au préstockage d’équipements lourds et à l’organisation régulière de manœuvres de l’O.T.A.N.

Après une période d’optimisme sur la capacité des États issus de l’ancienne Union soviétique à maîtriser leur transition vers la démocratie et l’économie de marché, les luttes de clans pour le pouvoir à Moscou, les soubresauts qui agitent les relations entre la Russie et les anciennes républiques sœurs, la décomposition des structures sociales, l’anarchie sur le plan économique et l’existence de l’armée comme seule force réelle du pays ont, à Oslo, conduit le gouvernement à adopter une attitude de bonne volonté en matière de coopération, notamment pour la mise en valeur des ressources de la presqu’île de Kola, et de prudence sur le plan stratégique.

Le second axe du redéploiement de la politique étrangère norvégienne actuelle concerne l’éventualité de l’adhésion du pays à l’Union européenne. Depuis le référendum négatif sur l’adhésion, en septembre 1972, et la signature l’année suivante d’un accord de libre-échange avec la Communauté, satisfaisant pour la Norvège, pendant longtemps la question de l’adhésion ne fut pas reposée au niveau politique. Malgré la multiplication des signes d’ouverture sur le plan économique, sur le plan scientifique et même sur le plan culturel – la sauvegarde de l’identité culturelle avait beaucoup joué dans le refus de 1972 –, l’opinion publique semblait toujours attachée au «splendide isolement» du nanti. L’année 1986 a marqué un tournant. D’une part, l’opinion a pris conscience de la fragilité de sa situation économique avec la chute des prix du pétrole et la politique d’austérité qui a été mise en place. D’autre part, l’élargissement à l’Espagne, au Portugal et à la Grèce, et la perspective de l’adoption par les Douze de l’Acte unique créant le «grand marché intérieur européen» à l’horizon de 1993 étaient de nature à rendre la position de la Norvège encore plus vulnérable. Pour les milieux d’affaires, qui généralement militent pour l’adhésion, la question se posait désormais en ces termes: «Est-il possible de survivre en dehors de la Communauté?»... Comment ignorer en effet que la Norvège exporte plus de la moitié de ses produits à destination des pays de la C.E.E.? Sur le plan scientifique, elle participe à Eurêka. Depuis 1986, elle est membre à part entière de l’Agence spatiale européenne et signataire d’un accord de coopération scientifique et technique avec la Communauté.

En mai 1987, le gouvernement Harlem Brundtland présentait au Storting un livre blanc examinant les problèmes liés aux relations existant entre la Norvège et la Communauté. Les réticences étaient encore vives, et, après les élections de 1989, elles devaient entraîner l’échec rapide du cabinet de coalition que le conservateur J. P. Sysse avait tenté de former avec les chrétiens démocrates et les centristes, défenseurs des intérêts des agriculteurs et des pêcheurs pourtant largement minoritaires – mais considérés comme des éléments fondamentaux de l’entité norvégienne – et donc viscéralement opposés à l’entrée de la Norvège dans l’Union.

L’approbation, non sans difficultés, par les Douze du traité de Maastricht devait à nouveau placer les Norvégiens devant leurs responsabilités, d’autant plus que cette fois-ci, sans compter l’Autriche, la Suède et la Finlande avaient manifesté leur intention de rejoindre la Communauté et que, s’ils persistaient dans leur refus, ils risquaient de se trouver totalement isolés en cas d’intégration de leurs partenaires nordiques. Cette perspective ne semble pas, pour l’instant, avoir beaucoup impressionné la majorité de l’opinion publique. En face des travaillistes et des conservateurs d’accord pour favoriser l’adhésion de la Norvège tout en obtenant des garanties solides pour l’agriculture et la pêche, les centristes ont fait un tabac aux élections de 1993 avec leurs positions anti-européennes, et, en juin 1994, un sondage donnait encore 52 p. 100 de non et 28 p. 100 de oui, et 44 p. 100 contre 35 p. 100 en cas d’adhésion de la Suède et de la Finlande.

Enfin, on ne peut pas évoquer l’action menée par le gouvernement Harlem Brundtland sur le plan diplomatique sans mentionner le rôle fondamental joué par le ministre des Affaires étrangères, J. J. Holst, malheureusement disparu prématurément en janvier 1994, dans le processus de réconciliation entre Israéliens et Palestiniens qui conduisit aux accords de Washington de septembre 1993, montrant ainsi qu’il n’est pas besoin d’appartenir au cercle des grandes puissances pour prendre des initiatives et conduire avec efficacité des négociations de la plus haute importance sur des problèmes à propos desquels de nombreuses bonnes volontés plus prestigieuses ont échoué. L’action discrète et efficace de Holst a grandement favorisé le retour à la paix dans une région du monde qui, depuis 1947, en était cruellement dépourvue. Ce sont les sujets du roi Harald V qui furent certainement les moins surpris par ces résultats remarquables, mais ce genre de confiance, cette propension à croire que la Norvège peut avoir raison contre le reste de l’Europe et que le plus important est de garantir sa spécificité risquent de les amener à rejeter une nouvelle fois l’occasion qui leur est offerte de rejoindre l’Union européenne et à subir les conséquences de leur obstination.

6. La littérature

Les débuts, jusqu’à la Réforme

Les premiers documents «écrits» remontent au IVe siècle de notre ère: ce sont les inscriptions runiques égaillées sur tout le territoire norvégien. Simplement commémoratives ou obscurément magiques, concises jusqu’à l’énigme ou hautement élaborées, elles témoignent par leur versification évoluée de l’existence d’une poésie primitive orale de qualité, faite sans doute de proverbes, d’énigmes allitérées, de chants de conjurations (galdrar ) et d’hymnes. Surtout, certaines attestent que les genres eddiques faisaient florès bien avant l’âge d’or islandais et que l’art raffiné des scaldes a pu naître sur le sol norvégien. Étaient norvégiens, en effet, le plus ancien scalde connu, Bragi Boddason (première moitié du IXe s.), auteur de la Ragnarsdrápa , ainsi que Þjódólfr de Hvín (début du Xe s.), qui composa Haustlöng (Longueur d’automne ) et Ynglingatal (Dénombrement des Ynglingar ), Þorbjörn Hornklofi (début du Xe s.), auteur d’un Haraldskvaedi , et Eyvindr Skáldaspillir (v. 915-v. 990), qui a laissé un Hákonarmál (Dit de Hákon ) et un poème généalogique, Háleygjatal .

À partir du XIe siècle s’établit la grande communauté culturelle Islande-Norvège, où il est difficile de démêler ce qui revient à un pays plus qu’à l’autre, encore que ce soient presque toujours des Islandais, semble-t-il, qui aient rédigé ou consigné les textes que nous connaissons. Pourtant, il est probable que certains poèmes de l’Edda sont, tout ou partie, d’origine norvégienne, notamment le Hávamál , les Grimnísmál , les Vaflprudnísmál , l’Atlakvida , les Hamdismál et la Völundarkvida .

Christianisée à partir de 1030, la Norvège adopte l’alphabet latin et entreprend la rédaction de codes de lois et de chroniques historiques ou de vies de saints sous l’impulsion de ses évêques, autour de quelques monastères actifs. Dès 1170 environ, l’archevêque Eysteinn de Nidarós (Trondhjem) compose une Passio et miracula beati Olavi ; avec un savoureux recueil d’homélies en langue vulgaire (Gammel norsk homiliebok , v. 1200), c’est le point de départ d’une abondante production hagiographique (Postola sögur, Heilagra manna sögur ). Un moine, Þjódrekr (Theodoricus), écrit, avant 1200, une Historia Norvegiae (v. 1180) et un Ágrip af Nóregs konunga sögum (v. 1190, Abrégé des histoires des rois de Norvège ).

Sous l’influence du roi Hákon Hákonarson (1204-1263), la Norvège se tourne résolument vers l’Europe, la France surtout, ce qui lui vaut une littérature abondante, imitée et souvent directement traduite de la littérature française de cour et de chevalerie. De cette importante production, deux chefs-d’œuvre émergent: l’anonyme Konungs skuggsjá (v. 1250, Speculum regale ), composé à la manière des Miroirs chers à l’époque, et le Draumkvaedi (Poème du rêve ), également anonyme, qui pourrait remonter à 1300 et ressortit au genre de visions poétiques du Paradis et de l’Enfer.

Avec le passage, en 1380, sous la domination danoise cesse ce que Hans E. Kinck a appelé l’«époque de la grandeur» norvégienne. Presque quatre siècles de demi-silence vont suivre. Silence, à vrai dire, de l’élite seulement, car le peuple norvégien continuera de témoigner d’une activité poétique et conteuse dont on ne s’avisera de relever l’intérêt qu’au XIXe siècle romantique. À la veillée, aux jours de fêtes, dans les assemblées, on se répète les folkeviser , strophes, ballades, danses au rythme simple, aux thèmes naïfs où l’on évoque les trolls, les champions du temps passé, qu’ils sortent du fond local ou reprennent des motifs communs à toute l’Europe. Ou bien ce sont des steve , petites improvisations lyriques (on en a dénombré quelque vingt mille) sur la beauté de la femme aimée, le charme des forêts, la saveur de vivre. Enfin, il y a les eventyr , contes fantastiques en prose, où le réalisme tient à un décor de nature typique et à une peinture des caractères qui évoque assez bien l’esprit des sagas islandaises.

De la Réforme au romantisme

La Réforme n’aura d’abord que peu d’effets sur la Norvège: venue du Danemark, elle ne faisait que renforcer le joug étranger. Le XVIe siècle s’intéresse certes à l’humanisme, dans la mesure en particulier où il affectionne les inventaires de connaissances scientifiques, historiques ou géographiques, mais il se préoccupe beaucoup plus de nationalisme. Om Norges rige (1567, Du royaume de Norvège ) d’Absalon Petterssøn Beyer et la traduction, par Peder Claussøn Friis, de la Heimskringla de Snorri Sturluson (Norske Kongers Chronica , 1663) définissent déjà les tendances de ce nationalisme, l’exaltation du passé glorieux en particulier.

Le XVIIe siècle ne verra qu’un seul écrivain de qualité, le pasteur Petter Dass (1647-1707), qui décrit poétiquement son pays dans le goût baroque (Nordlands Trompet , 1678-1698, Trompette du Nord ) et commente Luther en vers.

Au XVIIIe siècle, les deux plus grands Norvégiens, Ludvig Holberg et Johann Wessel, écrivent toute leur œuvre en danois. Du reste, les cercles intellectuels sont à l’école des «philosophes» français. La Société de Trondhjem (fondée en 1760), puis la Société norvégienne (à partir de 1772) diffusent une foi dans la vérité universelle, un culte de la raison qui remontent tout droit à Voltaire.

Ce sont les événements qui se chargeront de précipiter le cours des choses. Les bouleversements introduits dans les affaires européennes par Napoléon provoquent la fondation d’une Université norvégienne à Kristiania en 1811, puis la dissolution de l’union avec le Danemark en 1814. Cédée à la Suède, la Norvège ne lui est plus rattachée que par la personne du roi. Si les deux pays ont une politique étrangère commune, ils ont des administrations différentes.

Il n’en faut pas davantage pour provoquer une vague de nationalisme qui prend l’allure d’une forte poussée libérale. La gauche norvégienne, à l’époque, s’efforce de revenir aux sources nationales, surtout en recréant une langue originale. Deux grands noms dominent cet âge effervescent.

Le premier est Henrik Wergeland (1808-1845), chez qui luttes politiques et activités littéraires sont inséparables. Ce poète, dramaturge, historien et essayiste fougueux, trouva le moyen d’être à la fois un rêveur épique (Digte , 1829 et 1834, Poèmes ) et un visionnaire (dans son chef-d’œuvre Skabelsen , Mennesket og Messias , 1830, La Création , l’homme et le Messie , où il dépeint l’affrontement manichéen des forces fécondes de la vie avec les puissances de la mort, et aussi dans les rêveries fantastiques de Jan van Huysums blomsterstykke , 1840 (Les Fleurs de Jean van Huysum ), un historien romantique passionné de Herder, un polémiste humanitaire plaidant pour les humbles, l’indépendance et la démocratie (dans le diptyque Jøden , 1842, Le Juif , et Jødinden , 1844, La Juive ), et un idéaliste platonicien.

Johan Sebastian Welhaven (1807-1873), qui fut d’abord l’ami de Wergeland, lui fait parfaitement antithèse. S’il fut attaché lui aussi à la cause norvégienne, il ne put se résoudre à rompre avec la tradition danoise. Norges dœmring (1834, Le Crépuscule de la Norvège ) fait une mordante satire de la société norvégienne, ignorante et satisfaite d’elle-même. Il résoudra le dilemme en luttant pour le scandinavisme, tout en puisant parfois son inspiration dans la poésie populaire et dans un certain romantisme national (Reisebilleder og digte , 1851, Images de voyages et poèmes ; En Digtsamling , 1859, Un recueil de poèmes ). On retient surtout de cette œuvre une poésie élégante qui recherche la rigueur classique (Digte , 1838, Poèmes ) pour chanter mélancoliquement des amours tragiques (Nyere Digte , 1844, Nouveaux Poèmes ) ou exalter d’abord un panthéisme à la Schleiermacher, puis le christianisme.

Ainsi se trouve clairement posé le problème fondamental des lettres norvégiennes modernes: celui de l’affrontement des «deux cultures», la danoise chère aux élites, l’autochtone léguée par le passé lointain et entretenue par le petit peuple des paysans et des pêcheurs.

Celle-ci va se trouver brusquement remise à l’honneur par les travaux d’historiens et de folkloristes remarquables. C’est l’historien P. A. Munch (Det Norske folks Historie , 1851-1863, L’Histoire du peuple norvégien ) et surtout Jørgen Moe (1813-1882) et Peter Christen Asbjørnsen (1812-1885), qui éditent ensemble de 1841 à 1871 des Norske Folkeeventyr (Contes et légendes populaires de Norvège ), tandis que M. B. Landstad recueille des Norske Folkeviser en 1852-1853 et qu’Ivar Aasen (1813-1896), instituteur rural et philologue autodidacte, lui-même poète et dramaturge, compose une grammaire et un dictionnaire du norvégien populaire. Voici fondée la langue écrite que cherchait le «norvégianisme», cet amalgame de parlers populaires dialectaux, de tournures archaïques, auquel on donnera le nom de landsmål , puis de nynorsk ou néo-norvégien. Désormais, les assises d’une littérature en langue originale sont posées. Qui plus est, le départ est donné à un vaste mouvement d’études du peuple dont bénéficiera largement la littérature, tandis que paysans et pêcheurs, devenus symbole de la nation, se trouvent incarnés dans une floraison de types pittoresques et drus, aimant l’humour vert et le fantastique. Tout proches des forces de la nature: de Peer Gynt au Mattis des Oiseaux de T. Vesaas en passant par les Gens de Juvik de Olav Dunn, c’est le type littéraire norvégien qui est sorti, vivant, de ces recueils. Ivar Aasen et Aasmund Olafsson Vinje (1818-1870) ayant d’emblée doté cette langue nouvelle de ses premières œuvres de qualité, la porte s’ouvre sur un nouvel âge d’or des lettres norvégiennes.

Réalisme et naturalisme (1850-1890)

L’époque qui suit voit d’importants changements économiques et sociaux. Il en résulte de vives luttes politiques, paysans et classe moyenne fortement nationalistes s’opposant à une droite royaliste et unioniste. En 1884, la gauche accède au pouvoir et introduit le parlementarisme dans les mœurs. C’est aussi le moment où la Norvège s’ouvre aux influences extérieures. Positivisme, rationalisme, utilitarisme et darwinisme marquent les esprits autant que le réalisme, puis le naturalisme français. Le rôle des Danois Brandes, Kierkegaard et Grundtvig n’est pas à négliger non plus.

Or la société norvégienne est curieusement crispée sur des valeurs politiques, éthiques et religieuses anciennes. Et l’on peut dire que l’effort principal des grands écrivains qui débutent après 1855 sera de l’en arracher. C’était heurter de front un obstacle de taille: cette réserve farouche caractéristique des peuples du Nord; la volonté de passer outre entraîne trop souvent l’excès: individualisme forcené, exaltation démesurée de l’énergie, manque de nuances, tout ce qu’exprime si bien le «tout ou rien» de Brand, le héros d’Ibsen.

C’est la romancière Camilla Collett (18131895), sœur de H. Wergeland, qui ouvre le feu. Féministe ardente, mi-réaliste, mi-romantique, elle attaque de front les conventions sociales dans Amtmandens Døttre (1854-1855, Les Filles du préfet ): ce n’est ni le milieu ni le monde masculin qui doivent décider du mariage, mais l’amour seul de la femme.

Avec Ibsen (1828-1906), poète et dramaturge, les tendances nouvelles se trouvent haussées d’un coup au niveau du génie. De premiers essais tirés du fond national parviennent difficilement à l’imposer. S’y trouvent incarnés, déjà, le fond de cette pensée: élans vers l’idéal, dégoût du médiocre et l’un des grands thèmes de toute l’œuvre, la lutte déchirante entre le désir de remplir sa vocation et le doute corrosif. Exilé volontaire en Italie, puis en Allemagne, Ibsen décide d’écrire pour guider son peuple et lui donner le goût de la grandeur. Il lui dit qu’il faut tout sacrifier à la vocation, que «l’esprit de compromis, c’est Satan» et qu’«il est vain d’aider un homme qui ne veut rien que ce qu’il peut». De cette exaltation forcenée de l’énergie, de l’individualisme et de la volonté, il donne une épreuve positive, Brand (1866), puis deux négatives, Peer Gynt (1867) et De Unges Forbund (1869, L’Union des jeunes ), qui marque aussi un infléchissement de l’inspiration vers des considérations politiques et sociales. Commence alors la période des drames dits contemporains parce que les sujets sont pris dans l’actualité, bien que, sous des dehors réalistes, Ibsen y mêle des théories sociales et politiques à des considérations philosophiques souvent traduites par un symbolisme élaboré. Une vingtaine de pièces luttent pour «l’esprit de liberté et de vérité» tout en imposant des personnages exceptionnels (Fruen fra havet , 1888, La Dame de la mer ; Hedda Gabler , 1890). Un point de départ pris dans la réalité, des théories souvent révolutionnaires servies par des héros attachants, un art fait d’économie, de rigueur et de plasticité: la formule restera en application jusqu’à la fin. Mais on s’égarerait à vouloir y trouver l’expression d’un dogmatisme triomphant: Ibsen restera toute sa vie travaillé par le doute et, si les Norvégiens de son temps avaient besoin de la rude leçon d’énergie qu’il leur inculqua, son sens du tragique, son angoisse devant le mystère de la vie et de l’amour valent pour tous les temps.

Ces hésitations ne sont pas le fait de son contemporain, Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910), plus actif, beaucoup moins nuancé mais aussi plus conscient de l’urgence de son rôle politique et pédagogique. Plus romantique que réaliste, il engagea toute sa vie dans le combat pour un libéralisme anti-suédois, un scandinavisme exacerbé par la défaite danoise de 1864, un souci d’éducation populaire nourri du Danois Grundtvig. Il n’aura cessé d’exalter son peuple: dans des romans paysans comme Synnøve Solbakken (1857), des drames historiques au style coloré (Sigurd Slembe , 1862), des drames bourgeois (De Nygifte , 1865, Les Nouveaux Mariés ; En Fallit , 1875, Une faillite ; En Hanske , 1883, Un gant ) où il défend souvent les mêmes thèses qu’Ibsen: émancipation de la femme, exécration de la prétendue morale bourgeoise; des romans réalistes comme Magnhild (1877) et des poèmes épiques d’une magnifique venue (Arnljot Gelline , 1870).

Au fond de cette pensée, il y a une énergie farouche qui se cherche un but: est-ce la religion? Au-delà des forces I (Over oevne, første stykke , 1883) répond non: vivre pleinement sa foi est au-dessus des forces humaines. Alors, le socialisme? Au-delà des forces II (1895) émet quelques doutes. Cette œuvre a joué un rôle de premier plan dans la formation de la Norvège moderne.

Plus marqué encore par les courants d’idées de son temps, plus subtil aussi est le romancier Jonas Lie (1833-1908), dont l’œuvre abondante oscille entre réalisme social et irrationnel. Ce dualisme existe dès sa première œuvre, Den Fremsynte eller Billeder fra Nordland (1870, Le Voyant, ou Images du Nordland ), et ne se démentira pas. Ici, il se penche sur les problèmes sociaux, dans Familjen paa Gilje (1883, La Famille de Gilje ) en particulier, son chef-d’œuvre qui vilipende le mariage forcé et la sujétion de la femme; là, il s’attache à l’analyse pénétrante de conflits spirituels (Lodsen og hans hustru , 1874, Le Pilote et sa femme ), insistant sur les «puissances mauvaises» (Onde Magter , 1890) qui dévoient l’être humain. La même hésitation entre réalisme un peu prédicant et psychologie des profondeurs marque le roman Tora Trondal de Kristian Elster (1814-1881).

Romancier également et auteur de nouvelles, Alexander L. Kielland (1849-1906), démocrate radical et libre penseur, s’en prend aussi à la société, à ses injustices, à la mauvaise conscience des riches, à la crispation sur des conventions et des traditions mortes. Garman & Worse (1880), son chef-d’œuvre, dépeint la lutte de l’individu naturel et sain contre la civilisation malade, la masse veule, l’autorité injuste. Mais, surtout, Kielland dispose d’un style sans équivalent en Norvège, léger, gracieux, souriant, ironique, qui triomphe dans la nouvelle où il n’a pas de rivaux (Novelletter , 1879 et 1880).

En revanche, Amalie Skram (1846-1905) est beaucoup plus proche du naturalisme, dont elle retient et les principes d’écriture et la vision sombre de la vie. Constance Ring (1885) présente une héroïne mal-aimée et mal aimant. La fresque, plus épique que naturaliste, de Hellemyrsfolket (1887-1898, Les Gens de Hellemyr ) dépeint avec pessimisme la force coercitive de l’atavisme sur quatre générations successives. Tempérament inquiet, Skram se rapprochera de l’éthique chrétienne et de l’impressionnisme dans ses derniers écrits. Évolution qui amorce un ton nouveau, parfaitement reflété par l’œuvre chatoyante d’Arne Garborg (1851-1924), dont le premier ouvrage, Ein Fritenkjar (1878, Un libre penseur ), prêche la tolérance religieuse, tandis que le second, Bondestudentar (1883, Étudiants-paysans ), défend l’amour libre. L’essentiel de l’apport de Garborg tient à une recherche inlassable d’une religion de la bonté, de la joie et de l’action altruiste Troette Mœnd (1891, Hommes fatigués ), qui culmine dans le recueil de poèmes Haugtussa (1895, Le Troll des collines ), fleuron épique de la littérature en néo-norvégien.

Les années 1890 sont d’ailleurs le moment où la Norvège littéraire sort de la phase militante pour prendre quelque complaisance à soi: ce que dit fort bien un livre à scandale publié en 1885, Fra Kristiania-Bohêmen (De la bohème de Christiania ) de Hans Jaeger (1854-1910), apothéose de l’individualisme.

Le jeu du moi et des autres (1890-1914)

À partir de 1890 et pour quelque vingt-cinq ans, deux mouvements parallèles se dessinent. L’un, qui tient du néo-romantisme et du symbolisme, s’intéresse aux mystères de la psychologie humaine, aime la fantaisie en art, quête dans la nature et dans la culture toutes les formes possibles de religiosité. Le roman cède ici le pas au lyrisme, et le drame social à la rêverie poétique. L’autre, dicté par la prolétarisation accélérée des paysans et des pêcheurs, revient au réalisme pur, à la critique serrée de la société. La première tendance est représentée par Gunnar Heiberg (1857-1929), apôtre du relativisme et du tout-puissant désir (le drame Balkongen , 1894, Le Balcon ); par les poètes Nils Collett Vogt (1864-1937) et Vilhelm Krag (1871-1933). Sigbjørn Obstfelder (1866-1900) chante la solitude, l’étrangeté, l’angoisse dans une langue originale (Digte , 1893, Poèmes ) où vibrent les échos de Baudelaire et de W. Whitman. Mais s’il convient de mentionner encore tel bon essayiste comme Nils Kjaer (1870-1924) ou des romanciers régionalistes comme Peter Egge (1859-1959; Hansine Solstad , 1925), Johan Bojer (1872-1959; Den Siste Viking , 1921, Le Dernier Viking ) et Gabriel Scott (1874-1958; Kilden , 1918, La Source ), cette tendance est dominée par Knut Hamsun (1859-1952) et Hans E. Kinck (1865-1926).

Le premier s’impose avec Sult (1890, Faim ), qui décrit les états d’âme d’un malheureux torturé par la faim, au mépris de toute analyse psychologique traditionnelle. C’est que Hamsun tenait qu’il n’est de véritable réalisme qu’intérieur: «Ce qui m’intéresse, c’est l’infinie variété des mouvements de ma petite âme, l’étrange originalité de ma vie mentale.» Puis son inspiration prendra une coloration à la fois épique et idéologique: il entonne un hymne en l’honneur de la nature, et de la vie patriarcale du Nordland, tout en fustigeant le capitalisme, la société urbaine, dans une rage iconoclaste qui le mènera aux pires aberrations politiques. Mais l’humour et la tendresse sauvent toujours cette œuvre dyonisiaque.

Hans E. Kinck, bien que lui aussi fin analyste du caractère, qu’il cherche à fonder sur la famille, la nature, le milieu culturel, bien que passionné comme Hamsun de vitalité juvénile, de nature saine en même temps que d’irrationnel et d’inconscient, est habité de voix contradictoires qui s’expriment discrètement en un style comme effacé. Il traite du combat de l’un (l’individu) contre le multiple (la société) dans Huldren (1892, La Houldre ), oppose le paysan au citadin dans Ungt Folk (1893, Gens jeunes ), le mystère au réalisme dans les nouvelles de Flaggermus-Vinger (1896, Les Ailes de la chauve-souris ), la tradition au modernisme dans son chef-d’œuvre dramatique, Driftekaren (1908, Le Bouvier ). Dualisme qui lasserait s’il n’y avait ce style probe et surtout un constant appel à la pitié pour ceux qui n’ont pu préférer l’amour de la vie à la crainte de la mort.

La seconde tendance, néo-réaliste donc, est d’abord le fait d’écrivains prolétariens qui appellent la comparaison avec Gorki pour le sens épique qu’ils ont de l’histoire du peuple, la fraternité rude qu’ils chantent. Ce sont Kristoffer Uppdal (1878-1961), Johan Falkberget (1879-1967) et Oscar Braaten (1881-1939). Mais là encore, deux grands noms dominent. D’abord Olav Duun (1876-1939), qui dépeint les luttes des paysans et des pêcheurs en changeant sans cesse de registre: épique, psychologique, lyrique, humoristique. Son dernier titre, Menneske og maktene (1938, Hommes et forces de la nature ), résume son propos. Ensuite Sigrid Undset (1882-1949), romancière au tempérament épique qui aura poussé l’étude du féminisme dans ses derniers retranchements et, forte de sa conversion au catholicisme, aura doté le problème de ses véritables dimensions. Voyant dans le don total de soi le seul remède aux maladies du monde moderne, il lui appartenait de donner à ses généreuses idées le cadre d’un Moyen Âge merveilleusement reconstitué (Kristine Lavransdatter , 1920-1922; Olav Audunssøn , 1925-1926) ou d’un mysticisme altier (Den Brendende Busk , 1929-1930, Le Buisson ardent ).

On le voit: sauf exceptions, le ciel littéraire de Norvège est plein de beaux oiseaux mystiques et la prose n’y est jamais loin de la poésie épique. C’est aussi pourquoi la poésie connaît un regain considérable de faveur à cette époque. Herman Wildenvey (1886-1959) dans ses Nyinger (1907, Feux de bois ), Olaf Bull (1883-1933; Digte , 1909, Poèmes ), Tore Ørjasaeter (1886-1968; Elvesong , 1932, Chant de la rivière ), Olav Aukrust (1883-1929; Himmelvarden , 1916, Jalon du ciel ) chantent avec une belle musicalité l’instant heureux, la joie de vivre, l’amour.

Entre engagement politique et tradition (depuis 1918)

La génération qui publie ses premières œuvres autour de 1920 se préoccupe beaucoup de politique, sous l’influence de la revue marxiste Mot Dag et de son rédacteur Erling Falk. Simultanément, elle s’intéresse à la psychanalyse freudienne. Le poète Arnulf Øverland (1889-1968) mêle ces deux tendances: Brød og vin (1919, Pain et vin ) est d’inspiration communiste, Hustavler (1929, Tableaux domestiques ) accumule les fines études psychologiques. Helge Krog (1889-1962) prolonge les thèmes ibséniens dans des drames élégants (Oppbrud , 1936, Départ ). Le plus important est sans doute Sigurd Hoel (1890-1960), grand vulgarisateur des littératures étrangères, satiriste violent du monde bourgeois (Sesam , Sesam , 1938), avant d’écrire des manières d’études psychanalytiques sur le thème de l’amour trahi (Veien til verdens ende , 1933, Le Chemin de la fin du monde ), puis sur «l’angoisse des fautes oubliées qui s’étend comme une ombre sur notre vie» (Fjorten dager for frostnettene , 1934, Quartorze Jours avant les nuits de gel ). Moins engagés politiquement, mais tout aussi portés sur l’introspection et les problèmes moraux, Ronald Fangen (1895-1946) et Sigurd Christiansen (1891-1947) s’orientent, l’un vers le christianisme social (Borgerfesten , 1939, La Fête des bourgeois ), l’autre vers une dialectique de la faute et du remords (Drømmen og livet , 1935, Le Rêve et la vie ).

Vers 1930, la situation internationale aidant, la gravité, déjà évidente, des lettres norvégiennes s’accentue: une littérature d’action voit le jour, de plus en plus acharnée contre l’autorité, la tradition, le puritanisme. Son meilleur représentant, outre la romancière Cora Sandel (1880-1974), est le poète, romancier et journaliste Nordahl Grieg (1902-1943), qui rappelle beaucoup Saint-Exupéry. Après des débuts réalistes (Skibet går videre , 1924, Le navire poursuit sa route ), il entreprend de lutter pour la justice et pour la paix en défendant les valeurs d’action: patriotisme, solidarité, foi en l’homme (Norge i våre hjerter , 1929, La Norvège dans nos cœurs , poèmes; Vår aere og vår makt , 1935, Notre Honneur et notre puissance , drame).

Les influences étrangères (Kafka, Mauriac, Lawrence, Hemingway surtout) se font fortement ressentir dans les romans d’Aksel Sandemose (1899-1965) consacrés à l’étude des mobiles qui poussent un homme à commettre un crime (par exemple En flyktning krysser sitt spor , 1933, Un fuyard croise sa trace ). En revanche, l’inspiration du romancier Tarjei Vesaas (1897-1970) semble purement norvégienne. S’il fait le procès du monde moderne, c’est à travers un long chant épique consacré à son Telemark natal, où des héros angoissés, suicidaires et parfois simples d’esprit (Fuglane , 1957, Les Oiseaux ) recréent au prix d’un symbolisme envoûtant le monde de mystères, de forces élémentaires, de complicité avec la nature et de tendresse que bafoue le matérialisme ambiant (Dei Svarte Hestane , 1928, Les Chevaux noirs ). Avec le poète Gunnar Reiss-Andersen (1896-1964; Norsk Røst , 1944, Voix norvégienne ) et le romancier Johan Borgen (1902-1980) uniquement préoccupé d’arracher l’individu au conformisme (Natt og dag, Nuit et jour , nouvelles publiées en 1954), Vesaas représente bien l’éternelle Norvège, sans doute ouverte à toutes les faces de l’esprit, mais ne les envisageant jamais qu’à travers le prisme poétique d’une intense méditation personnelle.

À partir de la fin des années 1960, si la veine conteuse traditionnelle reste bien vivante – elle suscite, par exemple, des œuvres admirables comme celle de Johan Borgen (1902-1980) avec Petit-Lord (3 vol. 1955-1957) ou de Torborg Nedreaas (1906-1987), en particulier la souveraine Musique d’un puits bleu (1960) –, elle s’efface un peu derrière des productions poétiques inspirées directement par les violentes mutations du monde moderne – ainsi des expérimentations résolument concrètes de Rolf Jacobsen (né en 1907) ou de Jan Erik Vold – ou derrière les romans volontiers documentaires mais qui reviennent presque toujours à une réflexion en profondeur sur le socialisme et ses applications à la Norvège, tels que ceux de Jens Bjørneboe (1920, dont Le Silence date de 1973), de Kjartan Flogstad (né en 1944) et surtout de Dag Solstad (né en 1941) dont le roman sur Le Professeur de lycée Pedersen (1982) est sûrement l’une des plus émouvantes analyses vécues des grands problèmes politiques qui harcèlent notre temps. Mais la poésie reste invincible. Donnons-en pour preuve l’œuvre, en dialecte, de Knut Ødegård (1946) qui ressuscite, derrière les charmes de son Romsdal, l’âme antique de son pays.

Littérature norvégienne

On a vu qu’à la différence des autres littératures scandinaves la littérature norvégienne est restée marquée, ces dernières décennies, par les préoccupations politiques militantes. Il n’y a que peu de temps qu’elle tend à s’en dégager. La cause en est, évidemment, le processus d’industrialisation et d’urbanisation accélérées qu’aura connu ce pays traditionnellement très attaché à ses structures rurales ou «provinciales». La revue Profil (fondée en 1965) défendit avec éclat des vues d’extrême gauche qu’illustrèrent bruyamment Tor Obrestad (né en 1945, Sauda! Grève! , 1970; Allez-y! , 1976) ou Espen Haavardsholm (né en 1945, Les Bouches , 1968; Zink , 1971). Stein Mehren (né en 1935) élargit le débat en faisant le procès de notre «civilisation» (Les Titans , 1974). Demeure une rancœur contre une évolution effrénée, qui paraît stériliser l’inspiration immémoriale des successeurs de Bjørnstjerne Bjørnson, dans les romans de Knud Faldbakken (Glahn , 1985, qui renoue avec le Pan de Knut Hamsun) ou, plus récemment, de Jan Kjaerstad (né en 1953, Homo Falsus , 1986). Il en va de même dans un roman fort attachant de Bergljot Hobaek Haff: Moi, Bakounine , 1983. Le féminisme, agressif ici comme partout ailleurs dans le Nord, relève du même état d’esprit, par exemple dans les nouvelles de Bjørg Vik (né en 1935, L’Aquarium aux femmes , 1972) où se lit aussi une volonté de libération formelle, toujours au premier plan des centres d’intérêt.

Pourtant, la grâce d’écrire, de conter, de chanter n’a rien perdu de ses droits et retrouve une faveur sympathique dans l’œuvre multiforme du poète Jan Erik Vold (né en 1936) que pourrait résumer son dernier titre, Le Chagrin, le chant, le chemin (1987), ou dans la poésie, extrêmement originale, du vétéran Rolf Jacobsen (né en 1907) dont le souci constant est de lutter, dans des textes marmoréens, contre la dépersonnalisation ambiante (Ouvert la nuit , 1985). Kjartan Fløgstad (né en 1944) cultive une évasion nourrie de poésie dans La Vallée de Portland (1977) et surtout dans U 3 (1983). Et, après Facettes (1962), Gunvor Hafmo (née en 1921) dote cette méditation d’une belle profondeur religieuse dans Les Étoiles et l’enfance (1985). On est en droit de préférer, pourtant, parce qu’elles s’inscrivent dans le droit-fil de ce qui fut toujours le meilleur de l’âme norvégienne – il s’agit d’exalter l’enfant, le vagabond, le rêveur – l’œuvre de Herbjørg Wassmo (née en 1953; on n’oublie pas la petite fille qui apparaît dans la série ouverte par La Maison à la véranda aveugle , 1981) et celle de Tor Åge Bringsvaerd (né en 1939): après une brillante carrière d’auteur de romans policiers, en collaboration avec Jon Bing, il s’est imposé par une série (trois volumes pour le moment) intitulée Gobi (depuis 1985) et qui confond, autour du prestigieux personnage de Gengis Khan et de son épopée, un nombre étourdissant de thèmes et d’histoires réelles ou légendaires (de la croisade des enfants au preneur de rats de Hameln, par exemple) avec une science du contrepoint, qui conduit à une méditation sur l’histoire et son sens. On a le sentiment d’assister, par là, à un retour aux sources de ce que la Norvège eut toujours de meilleur à nous donner.

Norvège
(royaume de) (Kongeriket Norge), état d'Europe septent., en Scandinavie, baigné par l'Atlantique et par la mer du Nord; 323 886 km²; 4 274 000 hab. (croissance: 0,2 % par an); cap. Oslo. La souveraineté norvégienne s'étend sur des îles des océans Arctique (Spitzberg) et Antarctique. Nature de l'état: monarchie constitutionnelle. Langue off.: norvégien (bokmål, surtout, et nynorsk ou néo-norvégien). Monnaie: couronne norvégienne. Relig. d'état: luthéranisme (88 %). Géogr. et écon. - étirée en latitude sur 1 750 km, la Norvège est un pays de hautes terres (Alpes scandinaves culminant à 2 648 m), modelé par les glaciers quaternaires qui ont ouvert de profondes vallées littorales submergées par la mer: les fjords. Le climat, océanique frais sur la côte O., est continental vers l'intérieur et subarctique au N. La forêt mixte du S. fait place à la forêt boréale de conifères dans la plus grande partie du pays; la toundra domine au N. La pop., citadine à 75 %, est groupée dans le S. et sur le littoral; elle est vieillissante (16 % de plus de 65 ans). Pénalisée par le climat difficile et l'exiguïté des terres arables (3 % du territoire), l'agric. est marginale. La pêche (2e rang européen) et la sylviculture dégagent de bonnes ressources. Les princ. richesses sont énergétiques (pétrole et gaz de la mer du Nord, 1er rang européen pour l'hydroélectricité) et minérales (fer, cuivre, zinc, plomb): 60 % des exportations, forte industrie de transformation (pétrochimie, électrochimie, métallurgie de l'aluminium); en outre: constr. navale, industries textile, méca., électr. et électron. Malgré les mesures d'austérité et la hausse (légère) du chômage, les Norvégiens ont l'un des niveaux de vie les plus élevés du monde. à une croissance soutenue (4 à 5 % par an) s'associe un excédent budgétaire. Hist. - L'hist. de la Norvège, comme celle des pays scandinaves, est connue à partir du IXe s.: les Vikings accomplirent des raids marins de pillage vers l'Angleterre et les côtes hollandaise et belge, explorèrent l'Irlande (874), le Groenland (v. 980). Unifiée par Harald Ier Hårfager v. 872, puis par Olav Ier (995-1000), la Norvège s'ouvrit au christianisme sous Olav II le Saint (1016-1030). Après deux siècles de crises dynastiques, elle connut son apogée au XIIIe s. (rattachement de l'Islande et du Groenland). Le déclin s'annonça dès le XIVe s., avec la concurrence commerciale de la Hanse teutonique. La reine Marguerite, fille de Valdemar IV de Danemark, unit la Norvège au Danemark (1380) puis, en 1397, à la Suède (union de Kalmar), laquelle fit sécession en 1523. La Norvège, province danoise, devint luthérienne. Elle fut très éprouvée par le Blocus continental que Napoléon Ier imposa à l'Europe. Cédée à la Suède (1814) et bien que jouissant d'une large autonomie (Constitution de 1814), elle revendiqua son indépendance, effective en 1905. De 1940 à 1945, elle fut occupée par les Allemands. Un fort parti travailliste, qui a quasiment toujours exercé le pouvoir de 1935 à 1996, a mis en place une législation avancée. En 1996, il perdit quelques sièges aux législatives et le chrétien populaire Kjell Magne Bondevik a constitué une fragile coalition gouv. avec les centristes et les libéraux. La Norvège fait partie de l'OTAN (1949). En 1972, elle a refusé par référendum d'entrer dans la C.é.E., ainsi qu'en 1994. En janv. 1991, à la mort du roi Olav V, qui régnait dep. 1957, son fils, le prince Harald, lui a succédé.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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